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5 Octobre 1990, 5 Octobre 2006, 16 années de Lutte: Qu’avons- Nous Obtenu ?

LE REPUBLICAIN N° 049 du 03octobre 2006
  Le 5 Octobre est devenu une date inoubliable dans les annales politiques du Togo. Il marque le début de la prise de conscience du peuple togolais. Ce jour-là, les jeunes et une grande partie du public qui assistaient au procès de deux détenus (Loglo et Dossouvi) accusés d’avoir distribué des tracts hostiles au régime d’Eyadema furent brutalement dispersés sur ordre du président de la cour. Révoltés, les jeunes firent éclater leur colère en saccageant et en incendiant certains symboles du pouvoir : véhicules administratifs, commissariats et autres., un comportement que personne ne pouvait attendre des Togolais résignés depuis les événements sanglants du 13 Janvier 1963. Cela avait produit un effet de surprise et de torpeur ce vendredi-là.
Très rapidement, l’armée qui régente la vie politique du pays, organisa la contre offensive pour mater cette révolution par une répression sans pareil à tel point que Jeune Afrique avait écrit dans sa livraison du 10 au 16 octobre 1990 ce qui suit : " ..un hélicoptère de l’armée participe à la répression en survolant régulièrement la foule ". Ce fut la goutte d’eau qui avait fait déborder le vase.

Dans trois jours exactement, cette révolution ou évolution politique des Togolais, un soulèvement qui leur avait permis de briser leurs chaînes et de sortir de leur résignation aura 16 ans. Qu’avons –nous obtenu de cette lutte ?

Dès l’avènement des forces armées dans la vie politique du pays, les Togolais avaient été hypnotisés par des propos menteurs des nouveaux maîtres. Le peuple avait cru trouver en eux son sauveur.
L’homme fort d’alors déclarait qu’il était venu pour libérer la nation, mettre fin à la corruption, au népotisme, au favoritisme et surtout au parti unique de fait qui s’instaurait dans le pays.
" Je suis fermement opposé au parti unique. Afin de favoriser la critique, il faut deux partis. Le système de parti unique n’est pas une démocratie. Il about toujours à une crise : l’opposition n’a d’autres moyens de s’exprimer qu’en complotant. "
C’est en ces termes que le Général Eyadema alors lieutenant-colonel Etienne Eyadema exposait sa vision politique en 1967 dans une interview accordée à Radio Lomé.

Comme l’a chanté Alpha Blondi " tout change, tout évolue ".
Ainsi, curieusement, les choses avaient changé très subitement lorsque les acteurs du jeu politique avaient étalé leurs stratégies de conquête et de conservation du pouvoir. Depuis lors, le Togo évolue depuis plus de quatre ‘décennies dans un système dictatorial sous la houlette d’un parti unique, le Rassemblement du Peuple Togolais avec le même Général Eyadema. Le népotisme, le favoritisme, la corruption et tous les vices que l’armée était supposée venir combattre se sont érigés en méthodes de gouvernement. La prophétie s’est alors réalisée avec la distribution de tracts par une opposition souterraine, auteur de la révolution du vendredi noir, le soulèvement du 5 Octobre.

Par ce soulèvement, le peuple asservi, assujetti au culte de la personne du Président de la République et à la danse, a reconquis une parcelle de sa liberté confisquée. Beaucoup de choses ont changé depuis ce jour inoubliable du Octobre 1990. Le Togo n’est plus ce qu’il était sous la dictature de fer. Les Togolais peuvent désormais s’exprimer librement ; ils peuvent maintenant créer des associations et des partis politiques, ce qui constituait un sacrilège et une abomination auparavant. Le troisième Premier Ministre de Eyadema, Eugène Koffi Adoboli, avait apprécié les acquis de cette lutte en ces termes :
" Le chemin parcouru par notre pays depuis le début du processus démocratique est déjà assez appréciable malgré les aléas, et nous ne sommes plus loin du but. La multiplicité de partis politiques, de journaux et périodiques toutes tendances confondues, d’associations pour la défense des Droits de l’Homme, d’associations pour la liberté religieuse, d’associations de développement dans les villages les plus reculés de notre pays le prouvent assez bien. "

La liberté de presse et la liberté d’expression ainsi que la liberté d’associations constituent des acquis très précieux et très puissants de ce soulèvement ; ils participent à la poursuite de la lutte pour l’instauration de la démocratie et de l’Etat de droit au Togo.
Le soulèvement du 5 Octobre a imposé l’exercice du dialogue au dictateur ; il a réussi à le contraindre à convoquer la Conférence Nationale Souveraine qui a fait de Maître Kokou Joseph Koffigoh le Premier Ministre de la transition démocratique au Togo. Pour la première fois depuis que l’armée a pris le pouvoir, Eyadema a été contraint de partager le pouvoir politique. Cela constitue un acte courageux et louable dans le palmarès des acquis de la révolution du 5 Octobre. Cet acte est à jamais consigné dans l’histoire politique du Togo en ces termes :

" La Conférence Nationale a adopté
Le Président de la République,
Promulgue l’acte dont la teneur suit :
M. Kokou Joseph Koffigoh est élu Premier Ministre du Gouvernement de transition à l’unanimité des voix au second tour.
M. Kokou Joseph Koffigoh est appelé à constituer conformément à l’article 34 de la loi constitutionnelle organisant les pouvoirs durant la période transitoire, le gouvernement de Transition.
Le présent acte sera publié au Journal officiel et exécuté comme Loi de la République. "
Qui aurait jamais pensé que le tout-puissant Président de la République du Togo, le " Timonier national ", le " Guide éclairé ", pouvait partager son pouvoir acquis dans le sang . Et pourtant cela s’est réalisé comme fruit du soulèvement du 5 Octobre 1990 . Pendant un certain temps les Togolais ont pu décider des affaires de la cité en l’absence d’Eyadema. Véritable exploit ! Un véritable vent de liberté a soufflé sur le pays.

Plus encore, le soulèvement du 5 Octobre a permis de restaurer le 27 Avril et l’hymne national. La fête de l’indépendance et l’hymne nationale avaient été supprimés par " de mauvais esprits qui avaient cherché à gêner l’unité nationale. "
Et pourtant, cet hymne national qui retenti en éwé pour la première fois dans la nuit 27 Avril 1960 est un symbole de fierté pour le pays ; pour avoir choisi de le chanter dans une de nos langues en ce moment combien solennel, les pères pionniers de notre indépendance avaient cherché à donner un signal fort de leur quête pour la liberté dans tous les domaines de la vie au Togo: " Ablode Gbadza "

Grâce au mouvement du 5Octobre, les Togolais sont parvenus à abolir le culte qu’ils vouaient à leur " Guide Eclairé " et à mettre fin à l’animation. Pendant des décennies les Togolais avaient été transformés en de véritables robots n’ayant pour seule occupation qu’à chanter et à danser à longueur de journée en l’honneur du souverain. L’animation avait semé la graine de la médiocrité car avaient la chance d’occuper de meilleurs postes de responsabilité les fins griots et les meilleurs danseurs. Le 5 Octobre les Togolais ont été délivrés du mauvais esprit qui ne pouvait vivre que de chants et de danses.
Mais on dit souvent : " Chasser le naturel, il revient au galop ". Le régime dictatorial a accepté à contrecœur les transformations à lui imposées par la Conférence Nationale Souveraine. Après avoir tenté des coups de force les 1er et 8 octobre 1991, il fit prendre la primature d’assaut le 3 décembre1991 ; prit Koffigoh et lui imposa sa propre vision des choses comme il voudrait les voir se passer au Togo. La transition a échoué. On doit donc en conclure qu’un dictateur ne peut pas devenir un démocrate et même s’il veut essayer ce ne doit pas être du jour au lendemain.

Le peuple a vite réagi à la nouvelle tournure des événements par une grève générale illimitée qui n’a pas pu faire fléchir le dictateur. Seuls les premiers " posants " de l’opposition ont fléchi et ont rallié le camp du dictateur. Cependant, " à quelque chose malheur est bon ". Les Togolais ont appris au cours de cette période de grève de neuf mois à se débrouiller. Cette période a permis l’éclosion des initiatives privées qui continuent aujourd’hui à contribuer à la résorption du chômage dans le pays. Parmi ces initiatives on peut citer le phénomène " Zémidjan " qui a un impact économique très considérable sur la vie des citoyens togolais. Grâce au phénomène " Z ", les jeunes obtiennent du travail sans avoir à marcher et à lire des motions de louange pour les avantages qu’offre une certaine zone franche aux contours juridiques et économiques douteux.
Avons-nous donc atteint le but ? Devons-nous dormir sur nos lauriers ?

Le Premier Ministre Eugène Koffi Adoboli a mis les Togolais en garde contre l’échec de cette lutte aux objectifs nobles :
" Nous n’avons pas le droit d’échouer. Notre devoir est de libérer notre peuple de cette souffrance et de cette misère qu’il ne mérite pas. "
Cependant, nous avons échoué. Malgré les acquis combien importants et louables enregistrés par la lutte, nous n’avons pas pu libérer le peuple. Nous avons aggravé ses souffrances et sa misère.
Les acteurs de la vie politique togolaise et le peuple qui les soutient poursuivent des buts divergents : le peuple cherche des leaders pouvant l’aider à se libérer du joug de la dictature ; les acteurs politiques recherchent l’appui du peuple pour satisfaire leurs intérêts personnels.

En 1994, le Comité d’Action pour le Renouveau (CAR) et l’Union Togolaise pour la Démocratie (UTD) avaient sacrifié les intérêts du peuple à cause de leurs avantages personnels. Ils avaient abandonné la scène politique au Rassemblement du Peuple Togolais malgré leur victoire aux élections législatives .Ils avaient ainsi bradé les acquis de la révolution du 5 Octobre 1990. Ils avaient contribué de façon tacite aux nombreux toilettages de notre constitution. Ils avaient cru très naïvement que le dictateur qui ne vivait que de pouvoir et de gloire et qui avait horreur de l’alternance démocratique allait leur servir l’accession au pouvoir sur un plateau d’or. Au lieu de conquérir le pouvoir à partir du bout de la perche politique qui leur était tendue par le biais de l’Assemblée Nationale et le poste de Premier Ministre, ils s’étaient livré à une querelle stérile et une politique de la chaise vide à l’Assemblée. Ils avaient sacrifié la victoire à eux conférée par le peuple. Quel dommage !

Maintenant c’est le tour de l’Union des Forces de Changement et des autres partis dits de l’opposition de s’engager dans la même logique. Ils sont tous prêts à toujours sacrifier l’esprit de la révolution du 5 Octobre pour leurs intérêts personnels.
Les héritiers du trône de la république ont fait tuer plus de 500 Togolais selon le rapport des Nations Unies sur les tristes événements survenus au Togo avant, pendant et après l’élection présidentielle sanglante du 24 avril 2005 que le pays aie jamais connue pour conserver le pouvoir sanguinaire et dire non à l’alternance démocratique. Des milliers et des milliers de nos compatriotes qui ont soutenu ouvertement l’opposition se retrouvent en exil dans les pays voisins et y vivent dans des conditions déplorables.

Et pourtant, comme monsieur Faure Gnassingbé l’avait déclaré à Robinson à " Focus on Africa ", quelques jours après les résultats contestés et controversés de l’élection présidentielle, les modérés ont accouru à la mangeoire dès les premières heures d’exercice du pouvoir héréditaire reconquis dans le sang de nos compatriotes. Maintenant c’est le tour de ceux qui se disent appartenir à l’opposition radicale de rallier le camp des oppresseurs pour le partage du gâteau national pour vite se servir. La mémoire des vies perdues par ceux qui les ont soutenus n’a plus aucune valeur et ne mérite pas d’être honorée.
Sinon comment peut-on expliquer le différend entre le CAR et l’UFC au sujet du poste de Premier Ministre dans le Gouvernement d’Union Nationale ? Comment peut-on expliquer par ailleurs ce gouvernement pléthorique dans un pays en crise depuis des décennies ?

Les deux gouvernements Sama sous Eyadema avaient compté seulement 21 et 22 Ministères. En moins de deux ans l’actuel locataire et ses deux Premiers Ministres successifs ont formé des gouvernements de 30 et 35 membres. Pour les intérêts de qui, tous les hommes et femmes se bousculent-ils au portillon du pouvoir? Pourquoi rappelle-t-on tous les retraités de la vie politique à l’activité ? Edem Kodjo est-il si indispensable pour la sortie de la crise togolaise? Qu’a-t-il réussi à faire aux Togolais toutes les deux fois qu’il a eu à assumer les fonctions de Premier Ministre ? Sommes-nous devenus des vautours politiques ? Et pourtant le RPT ne dit rien malgré son slogan " se servir, non ; servir le peuple, oui. "

Il semble que depuis toujours les acteurs de la vie politique togolaise ne se sont jamais préoccupés du sort du peuple qu’ils sont appelés à gouverner. Gabriel Agbeyome Kodjo, un pur produit du Rassemblement du Peuple Togolais s’en était indigné dans sa prise de conscience tardive lorsqu’il avait déclaré :
" En dépit des difficultés économiques et financières que traverse notre pays depuis une dizaine d’années, de l’isolement financier et quasi diplomatique de notre pays, le régime ne continue pas moins de mener une politique dispendieuse au mépris des souffrances et de la misère de nos concitoyens. "

Considérez la vie dans nos écoles et hôpitaux, point de personnel qualifié et point de matériel. Voyagez sur nos routes ; les espaces bitumés ont cédé leur place à des nids de poule qui constituent de véritables traquenards aux usagers et des tombeaux ouverts sur les routes. Pourquoi tant de ministres et secrétaires d’Etat ? Est-ce simplement pour les récompenser de leur fidélité ou mieux pour bien dilapider les maigres ressources financières du pays ?
La mission du gouvernement ne durera qu’à peine un an. Alors, pourquoi tant de gaspillage si on pense vraiment au bien-être des citoyens ? Avons-nous mis du nouveau vin dans une vieille outre ? Qu’avons-nous fait ? Pourquoi avons-nous sacrifié nos vies pour des acteurs politiques qui ne finissent pas de se moquer nous?
Nous avons toujours cherché à tuer l’esprit du soulèvement héroïque du 5 Octobre par notre empressement à accepter tout ce qu’a pu proposer la mouvance présidentielle. Nous sommes toujours trop pressés à dire que " c’est déjà un bon pas " à toutes les propositions du Rassemblement du Peuple Togolais. Chaque fois nous avons perdu. Nous n’avons jamais mis les garanties de notre coté.

Pour avoir accouru tous à la mangeoire après ce 12è dialogue inter togolais en comptant sur la bonne foi des autres sans aucune garantie après tant de vies perdues, nous sommes devenus des obstacles à nos efforts. Nous avons cessé de nous positionner comme des acteurs politiques résolus " à libérer le peuple de ses souffrance et de la misère qu’il ne mérite pas ".

De tout ce qui précède et quelles que soient les circonstances qui prévalent sur la scène politique togolaise, le 5 Octobre demeure une graine semée sur de la terre fertile. Elle a déjà germé et commence même à porter des fruits. Malgré les erreurs, malgré les risques et malgré la déception de ces derniers temps, les nobles efforts engendrés par l’esprit du 5 Octobre doivent et méritent d’être entretenus et revivifiés par de nouvelles volontés politiques. L’opposition dans son ensemble est aujourd’hui cooptée. La stratégie du Rassemblement du Peuple Togolais a réussi. Il est parvenu à désunir l’opposition comme les Etats Unis ont réussi à démanteler l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques. Le peuple, victime du jeu politique, a encore perdu un combat.
Toutefois, quelles que soient les circonstances, le peuple togolais dans sa grande majorité, la masse silencieuse, la masse qui subit, la masse victime, doit continuer la lutte enclenchée le 5 Octobre 1990 pour parvenir à restaurer la paix et la concorde nationale sur la Terre de Aïeux. Oui, la lutte doit continuer dans la noble et héroïque esprit de la révolution du 5 Octobre avec de nouvelles stratégies beaucoup plus rationnelles afin que le peuple parvienne un jour à s’écrier comme pour paraphraser Kwame N’Krumah :
" Enfin la bataille est terminée. Nous voici libres à jamais " !

Kindheart AVULETE