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Prof. Apedo Amah Togoata : "Je ne suis pas rastafarien... c'est un choix de coiffure"

Togo - Societe
Les Togolais manifestent un grand intérêt à la journée du 11 Mai, en se référant à la mort de Bob Marley. Le mouvement rastafari est donc à l'heure ce jour. C'est un mouvement importé qui prône la conservation des cheveux naturels (Dreadlocks). Chose également privilégiée dans certaines traditions vodous que ce soit partout ailleurs en Afrique, comme chez les Ewés du Togo. Le rastafarisme, les religions syncrétistes, la résistance au colonialisme, Togoata Apedo-Amah, professeur à l'Université de Lomé, activiste de la société civile en parle dans une interview exclusive accordée à iciLomé.
Vous êtes connus comme l’un des rares professeurs d’Université au Togo qui a les dreadlocks. Etes-vous adepte du rastafarisme ?

Non pas du tout, je ne suis pas rastafarien. J’ai les dreadlocks, c’est tout. c’est un choix de coiffure sans plus. Il ne faut donc pas confondre les porteurs d’une coiffure avec les adeptes d’une religion et d’une certaine vision du monde. Voilà pour clarifier les choses.

Le rastafarisme c’est une foi, une religion, une vision du monde. Ce n'est pas une philosophie en tant que tel puisque la philosophie ce sont des concepts très précis qu’on élabore ; la philosophie est toujours individuelle et donc comme le rastafarisme est un mouvement d’ensemble,, il s’agit plutôt d’une vision du monde.

Rastafarisme ; une philosophie ou un simple concept ?

Vous savez, comment est apparu le rastafarisme ? Dans les Antilles particulièrement en Jamaïque à la fin du 19ème Siècle et début 20ème, c’était encore pratiquement l’esclave. Un mythe avait alors circulé à travers les Antilles et particulièrement en Jamaïque comme quoi un messie noir viendrait délivrer les nègres de l’esclavage puisque déjà le Vodou existait dans toutes les Antilles, mais c’était réprimé donc les gens devaient se cacher et même donner des noms chrétiens aux divinités vodou pour masquer le culte. Ce mythe circulait donc, et entre-temps en Ethiopie, la nouvelle établit comme quoi l’empereur Ménélik avait battu les Italiens en 1896 et plus tard, à la mort de Ménelik, la Reine avait désigné son neveu Tafari Makonnen comme successeur au trône. Il prendra le nom d’Hailé Sélassié 1er en 1930.

Cependant, les colons italiens avaient conquis l’Ethiopie et l’empereur a dû s’exiler en grande Bretagne avant de rentrer quelques années plus tard en 1934 s’installer au Soudan, puis avec une coalition anglo-éthiopienne a vaincu et chassé les Italiens. A partir de là, le mythe a repris de la vigueur pointant l’empereur comme le Messie Noir dont on parlait. Puisque c’était la première fois qu’un noir, un pays africain a battu un colon, après Ménélik et Mengistu. Cela a eu un tel retentissement que les gens ont affirmé : voilà le messie qu’on attendait.

Puisqu’avant d’être couronné empereur, son nom était Tafari Mokonnen. Mais "Ras" en "amharique" (langue dominante en Ethiopie) signifie roi ou rois des rois. C’est comme ça qu’on a collé le roi "Ras" au prénom Tafari de l’empereur et c’est ce qui a donné le "Rastafarisme", un peu comme Jésus Christ et le christianisme.

Ces choses sont des formes de résistance culturelle à l’aliénation, à la colonisation, à l’esclavage. Puisque des gens se sont dits "NON ; nous ne pouvons pas adhérer à ce christianisme là pour qu’on nous dénigre, qu’on fasse de nous des esclaves, des moins que rien, des infra humains ; donc nous devons chercher quelque chose qui soit à nous forcément".

C’est donc à partir de là qu’est né ce culte-là, à l’insu même de l’empereur Sélassié, c’est-à-dire Tafari Makonnen. Des gens ont eu à lui poser la question : il parait que vous êtes un dieu, mais il s’en est étonné en rétorquant qu’est-ce que c’est que ça ! Se disant déjà divinisé en tant que roi à l’époque, descendants de Salomon, la Reine de Sabbat, etc.

pour lui cette considération de dieu ne changeait pas grand-chose. Et même quand il est mort assassiné par le dictateur Hailé M. Mengistu, les gens sont revenus à la charge demandant où est passé votre dieu là ? On vient de le tuer. Non, répondent les adeptes, ce n’est pas l’homme en chaire tout comme dans le christianisme.

C’est absolument Bob Marley qui a été le grand vulgarisateur de cette foi qu’est le rastafarisme. Un peu avant, il y avait Jimmy clif. Mais c’est surtout Bob Marley, Peter Torch et toute la génération des années fin 1970 et 1980 qui ont véritablement mondialisé et popularisé cette doctrine.

Il y a une culture chez les Ewé qui amène des parents à ne pas coiffer les enfants, sauf après une cérémonie. Pouvez-vous nous en parler un peu ?

Ça fait partie des syncrétismes religieux, parce que c’est un mélange parfois de christianisme et de religions africaines. On voit à travers le dreadlocks, ce qu’on a chez nos vodou ici, ou en Ethiopie ou encore chez certains peuhls au Niger, aux Kenya où des peuples ont des dreadlocks et avec le chanvre que certains utilisent pour soi-disant entrer plus rapidement en contact avec la divinité. Cela se fait également dans certains de nos religions traditionnelles également. Donc ce sont des syncrétismes qui sont des formes de résistance à la colonisation et à l’aliénation.

Dans certains rites vodous, je ne sais pas exactement sous quelles divinités vodou (puisqu’ici on en a beaucoup), on remarque qu’on ne touche pas aux cheveux des enfants pendant longtemps. Ils auront donc des dreadlocks pour longtemps. Ne pas toucher aux cheveux, c’est lié à certains rites. C’est aussi une façon de ne pas toucher à l’intégrité physique de la personne. On a même ça dans la bible avec Samson et Dalila, toute la force de Samson résidait dans ses cheveux. Il y a des mythes tournant autour des cheveux.

C’est donc ça le syncrétisme où sont donc mélangés à la fois le christianisme et les religions africaines. Dans presque toute l’Afrique, on a ces choses dans les cultures traditionnelles ; les dreadlocks et les gens ont cru que cela venait du Jamaïque avec l’influence du reggae. Non, car en réalité, cela vient d’Afrique, c’est parti en Jamaïque et ça revient encore en Afrique mais ce n’est pas nouveau du tout, puisque c’est le peuple noir. Quand tu laisses les cheveux long sans les tresser ; c’est ce que ça devient forcément.

Propos recueillis par A.L