Vous etes sur la version ARCHIVES. Cliquez ici pour afficher la nouvelle version de iciLome.com
 6:29:09 PM Jeudi, 28 Mars 2024 | 
Actualité  |  Immobilier  |  Annonces classées  |  Forums  |  Annuaire  |  Videos  |  Photos 


Faut-il caresser l’armée togolaise dans le sens du poil?

Togo - Opinions
« L'armée c'est la nation », disait Napoléon Bonaparte.
Face à la répression militaire qui s’est une fois encore abattue sur les manifestants aux mains nues à travers le Togo, la question de l’attitude à adopter face à nos frères et sœurs en treillis est une fois encore au centre du débat politique. Que faut-il faire (ou ne pas faire) pour que l’armée togolaise épargne la vie des manifestants aux mains nues ? Que faut-il dire (ou ne pas dire) pour que l’armée respecte (enfin) le droit de chaque Togolais qui sort dans la rue pour exprimer son refus de la gouvernance actuelle du Togo ?

Selon certains analystes, journalistes, politologues et autres experts du marigot politique togolais, l’armée togolaise fait partie intégrante du problème togolais. Elle serait même « le problème togolais », pas en tant qu’institution d’État, mais plutôt du fait de la posture de nos frères et sœurs en uniforme vis-à-vis des évènements politiques, des acteurs politiques, de la vie politique et publique dans notre pays. Pour ces analystes, l’armée est indissociable du régime RPT/UNIR, et les intérêts de l’armée et ceux du parti au pouvoir se confondent. Dans ce schéma, l’armée se bat pour conserver des intérêts particuliers, pas pour défendre ceux de la nation. Elle a donc le plein contrôle des actes qu’elle pose et agit en pleine coordination et intelligence avec les tenants (civils) du régime pour préserver des intérêts qui leur sont communs. Dans ces conditions, soulignent ces analystes, il est légitime de critiquer l’armée au même titre que le parti au pouvoir ; l’armée est donc une cible légitime pour la critique publique. S’attaquer au parti au pouvoir en tant que force politique opposée à l’alternance politique revient à aussi s’attaquer à l’armée. Certains définissent même l’armée comme le bras armé du parti au pouvoir ; d’autres utilisent des termes plus extrêmes de « miliciens en treillis » pour désigner les militaires et croient dur comme fer que toute manœuvre politique visant à amener les militaires vers un meilleur traitement du peuple échouerait.

Pour d’autres observateurs, l’armée est une institution animée par des hommes et des femmes qui « souffrent », autant que les civils, des travers du régime qui régente le Togo. Par manque d’un statut qui lui est propre, l’armée serait maintenue dans un état d’insécurité juridique permanente ; les militaires ne font qu’obéir aux ordres et seraient les « otages » du régime. Ils ne peuvent pas changer les règles du jeu et seraient obligés de faire ce que le régime leur demande. Mais contrairement aux civils qui peuvent exprimer leur mécontentement dans la rue, sur les médias et par des mouvements sociaux, les militaires sont soumis au devoir de réserve qui les rendrait plus vulnérables que les civils. Dans ces conditions, critiquer les militaires ne rend pas service à la lutte pour l’alternance. Les tenants de cette ligne s’insurgent contre toute critique des militaires et estiment qu’elle est contre-productive. Les tenants de cette ligne vont jusqu’à soutenir qu’il faut tout simplement « sensibiliser », les militaires pour que le miracle se produise. Quel miracle ? Une relation dénuée d’animosité entre le peuple et son armée, comme cela se voit chez nos trois pays voisins.

La question des relations entre le peuple togolais et son armée ressemblent à s’y méprendre aux relations entre les services de police américains et les minorités noires en général. D’un côté il y a ceux qui au sein de ces minorités estiment qu’aux États-Unis la police est au service de la majorité blanche, et les intérêts de cette police se confondent avec le maintien des intérêts de cette majorité (entendez privilège associé à la peau blanche ou ‘’white privilege’’), ce qui explique les brutalités policières fréquentes contre les non-Blancs. De l’autre côté il y a ceux qui au sein des mêmes communautés minoritaires soutiennent que les policiers font de leur mieux pour protéger tout le monde ; les policiers seraient eux aussi des victimes d’une structure sociale dans laquelle leur institution est obligée de servir les forts (les Blancs) aux dépens des faibles, et que ces policiers ne peuvent ni changer ni se rebeller contre ces forts dans la mesure où ce sont ces derniers qui déterminent les ressources qui leur sont allouées.

La comparaison entre la police américaine et une armée africaine n’est pas irréprochable, mais les éléments qui me paraissent importants y sont. Ayant posé le problème, et puisque mon intention n’est pas de répondre à la question du bien-fondé de la critique de l’armée ou pas, parlons de solution : au regard de la façon dont les communautés noires et les services de police américains parviennent à résoudre leurs conflits, peut-on améliorer les relations entre le peuple togolais et son armée ?

Au cours d’une réunion organisée en 2010 entre la police de la ville de New York et les responsables et leaders d’opinion de la communauté noire pour discuter de l’amélioration de leurs relations conflictuelles, et face à l’insistance de la police de voir les critiques contre elle s’arrêter, un leader noir demanda : si nous arrêtons nos critiques, pouvez-vous nous assurer que vous donnerez des ordres afin qu’aucun policier ne tire plus sur un Noir dans le dos, lorsque que ce Noir a ses deux mains en l’air ou à tout moment où ce Noir ne représente aucun danger pour le policier ? Les responsables de la police n’ont pas répondu. Parce que justement la réponse à l’arrêt des tueries indiscriminées par les forces de sécurité n’est pas une question d’obéissance aux ordres ; elle est ailleurs. Elle est dans la culture même de la police, culture qui commence au centre de formation des policiers (académie de police), se renforce par l’atmosphère qui règne au commissariat de police, et se manifeste finalement dans la rue aux dépens des Noirs. Je vois le problème de l’armée togolaise sous le même angle : la répression ne résulte pas des ordres, mais de la culture qui commence au début du « cycle militaire », au centre d’instruction et se poursuit dans les garnisons.

Réfléchir aux moyens de réduire l’animosité qui règne entre l’armée togolaise et le peuple serait un bon départ. Car aussi longtemps que l’armée sera constituée d’hommes et de femmes, il y aura bien ce moyen et il nous faut le trouver. Il faut qu’on y pense, car trop de Togolais meurent, s’exilent ou finissent en prison à cause de cette animosité. L’armée ne changera que si on trouve des ponts entre elle et le peuple. Bien entendu, le plus dur est de mener cette réflexion avec la malheureuse certitude que les agissements que nous déplorons ne s’arrêteront pas du jour au lendemain.

Que les âmes de toutes les victimes de la répression militaire reposent en paix.


A. Ben Yaya
9 décembre 2018