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La CEDEAO a très bien joué son rôle au Togo ; enterrons notre innocence.

Togo - Opinions
Bonne et heureuse année 2019 !

Pour commencer, ces vers de Gérard Lenormand dans sa « chanson d’innocence » :

« Les maîtres de la guerre sont là,
Dieu est à leur côté, tu vois,
Ils se déguisent derrière leurs discours,
Ils nous mentent un peu plus chaque jour,
Quand les larmes et les pleurs n’ont plus aucun sens. »

En septembre 2015, alors qu’une junte militaire conduite par le général Diendéré venait de renverser le gouvernement de transition au Burkina Faso, et que la répression par le régiment de la sécurité présidentielle (RSP) faisait rage à Ouagadougou, une discussion, prévue de longue date, se déroulait à Washington DC au siège d’une ONG de promotion de la démocratie. Un étudiant africain, très en colère ou plutôt très excité posa la question suivante au panel : « à quoi rime le silence des grandes puissances par rapport à ce qui se passe au Burkina Faso ? Ne pensez-vous pas que les États-Unis jouent un rôle trouble dans cette histoire de démocratie ? »
À cette question, un membre du panel, un ancien diplomate, répondit avec un sourire : « Nous faisons la promotion de la démocratie partout, mais ce n’est pas à nous de l’appliquer dans chaque pays. » Au cas où j’ai mal traduit, mais voici la version anglaise : « We promote democracy everywhere, but it is not our role to enforce it in each country. »

Le diplomate venait ainsi de résumer la réalité des relations internationales, une réalité crue – ou cruelle – qui passe mal auprès du public africain, et que les élites politiques africaines rechignent à reconnaître ou à travailler avec. On peut bien comprendre la réaction du public, mais la politique de l’autruche des élites politiques en la matière est incompréhensible. Le Togo n’y échappe pas. Ainsi donc, sur la base de cette réalité, la CEDEAO, une institution que le Général de Gaulle qualifierait volontiers de « machin d’Africains » ou un « sous-machin » vient de déposer les Togolais au bord de la route, loin de la destination que beaucoup considéraient comme la terre promise. Pouvait-il en être autrement ?

Les habitués des analyses politiques publiées sur le Togo comprendront sûrement que dans les relations internationales d’aujourd’hui, il n’y a ni compassion, ni honte, ni amitié ; il n’y a que des intérêts. Dénoncer cet état de chose tous les jours comme aiment le faire les acteurs politiques africains ne changera rien. Et à moins que l’on ne soit capable ou prêt à composer avec ces intérêts pour un temps, on va tourner en rond. Composer avec n’est pas une compromission, c’est la réalisation qu’avant de changer les règles d’un jeu, il faut le jouer d’abord ; il faut même en être un pro. Dénoncer les règles d’un jeu auquel l’on veut participer est vain ; on peut essayer, mais il ne faut pas en faire une priorité car la victoire est la priorité de tous les joueurs, pas le changement des règles.

La CEDEAO, en digne copie conforme ou reflet local de la communauté internationale, a bien rempli son rôle au Togo. D’abord Macron déclare à Accra qu’il est pour « les élections dans lesquelles les oppositions puissent s’exprimer » ce qui est déjà le cas de toutes les élections en Afrique. Ensuite il se déplace au Nigeria, le grand manitou militaire et politique de la CEDEAO pour sans doute marteler son obsession pour les élections. Enfin la CEDEAO pond une feuille de route dans laquelle « les élections viennent en premier lieu » selon la lecture du Général Béhanzin, commissaire de la CEDEAO. Il fallait être politiquement naïf pour penser que tous ceux-là allaient renoncer à leur obsession des élections comme solution de sortie de crise. Cela ne résout bien sûr pas la crise togolaise, mais c’est ce qu’ils veulent pour pouvoir passer à d’autres crises ou dormir sur leurs deux oreilles. C’est la solution qui arrange les intérêts de la communauté internationale. Le régime togolais lui l’avait compris.

Quand il y a crise dans une démocratie bananière comme le Togo, la communauté internationale a une checklist qui comprend entre autres les éléments suivants : tueries, massacres, arrestations arbitraires, refugiés, exilés, dialogues, élection, sanctions, conférences, médiation, réconciliation. Si vous cochez tous les éléments de la liste, vous verrez que le Togo a déjà accomplis le cercle vicieux. Le changement de régime ne figure nulle part sur la liste parce que les « intérêts » de cette communauté sont trop sensibles à ce scénario, cela représente un investissement trop incertain pour cette communauté, et il y a un risque que cela donne de mauvaises idées à d’autres peuples (regardez le printemps arabe). La communauté internationale propose toujours des solutions standards applicables dans toutes les démocraties bananières. C’est ainsi depuis la chute du mur de Berlin, et il n’y a pas de place pour l’innovation. Le changement de régime est l’affaire des citoyens, pas de la communauté internationale, sauf si l’occasion s’offre par le biais d’une élection présidentielle, comme en Côte d’Ivoire en 2011 et en Gambie en 2017.

Pour revenir aux propos du diplomate américain, les discours de la communauté internationale, y compris « l’ingérence humanitaire », « la responsabilité de protéger » ou encore « le protocole additionnel de la CEDEAO sur la bonne gouvernance », font partie de la promotion de la démocratie. Mais il est dangereux de prendre ces concepts au pied de la lettre, car ceux qui en sont les chantres ne peuvent les appliquer. Malheur à ceux qui l’ignorent ou jouent les ignorants.

Puisque la CEDEAO a joué le rôle qui est le sien, il ne reste qu’à forcer les Togolais à plus de réalisme. C’est aux Togolais de sortir de leur très commode innocence. Un bon début serait de ne plus rechercher la compassion de la communauté internationale, ou d’arrêter de surfer sur cette compassion comme instrument de conquête du pouvoir. Sinon le peuple togolais n’aura que ses larmes et ses pleurs, qui n’auront aucun sens hors du Togo. Les Togolais doivent aller à la recherche du pragmatisme perdu, pour parler comme Marcel Proust. Je ne le dis pas parce que je ne suis pas « sur le terrain », c’est parce que cela est nécessaire.


A. Ben Yaya
New York, 5 janvier 2019