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LE PARADOXE BASSAR. Épisode2 : la résistance du peuple face à l’oppression (Premier chapitre)

Togo - Opinions
Nous avions montré dans un texte précédent le contraste qui existe entre les nombreux atouts du peuple bassar caractérisé par la richesse de son histoire, ses potentialités en ressources humaines, économiques et l‘état lamentable dans lequel se présente cette grande région du Togo.
Nous nous proposons dans ce mémoire de montrer maintenant, à travers l’histoire politique de notre pays, la lutte héroïque que mène le peuple bassar depuis l’époque coloniale. Le peuple bassar n’a pas été étranger à l’érection de la nation togolaise dont rêvaient nos pères et mères même si ce projet global d’une nation forte et unie a été brutalement hypothéqué depuis que le 13 Janvier 1963 la dynastie des Gnassingbé vint aux affaires.

Il nous parait nécessaire de rappeler à tous, parents, frères, sœurs, enfin au peuple togolais malgré une obsolescence ethnocide programmée par les colonisateurs et entretenue par le régime des Gnassingbé que, l’esprit de résistance de ce peuple illumine encore les âmes de ses fils et filles. Plus que jamais il faut le rappeler et plus encore à l’aube de cette nouvelle phase où la bataille de libération sonnera le glas de cette dynastie de malheur et de tout son système inique.

Pourquoi le régime tient tant à cette région ? Au nom de quoi la présente t- on comme le fief de la minorité pilleuse, alors que l’histoire de ce peuple montre, à toutes les étapes, qu’il a toujours résisté à toute forme d’oppression ? Bassar serait un allié sûr de la dynastie selon une certaine opinion du fait que le pouvoir s’est toujours activé à octroyer des postes administratifs, militaires et surtout des postes politiques importants aux ressortissants bassar. Aucun gouvernement jusqu’alors n’a été formé sans qu´un poste ne soit réservé aux ressortissants de Bassar. Outre dans le gouvernement, deux femmes de la région apparaissent à l’assemblée nouvelle dans le bureau du perchoir. La proximité de ces deux dames avec Faure Gnassingbe n’enlève rien au fait. L’armée a aussi, pendant longtemps, fait la part belle aux gens de Bassar. Depuis 2005 cependant, Faure a compris qu’il ne pouvait plus vraiment confier la totalité de la sécurité de son régime a des officiers aussi bêtement serviles et lâches et ce, en totale contradiction avec l’esprit guerrier de leurs ascendants. Il craignait que, dans un sursaut, ce peuple réputé droit puisse le déposer à tout instant. Mais il lui sera difficile de s’en passer totalement car ce peuple est aussi un vivier de talents et de compétences.

La paupérisation de la région est remarquable. Le manque d’infrastructure la rend méconnaissable malgré l’exploitation de deux minerais prisés (le fer et le clinker). Les usines de traitement sont installées à Kara, empêchant la population locale de bénéficier d’une quelconque retombée économique. De plus la population de ces zones minières, comme à l’image des autres régions du Togo où les richesses sont exploitées, souffre des conséquences désastreuses des exploitations sauvages faites au mépris des mesures sanitaires et environnementales.

Dans la réalité le régime a besoin d´alliés et de complices à Bassar comme il est de son habitude dans toutes les régions du Togo, pour dompter le peuple afin de se perpétuer. Le régime a su, voilà bien longtemps, tisser des liens et pactes obscurs avec certaines familles, fils et filles du milieu pour être ou ses suppôts ou ses délateurs. Objectif : empêcher le peuple bassar connu pour ses valeurs, sa spiritualité et sa culture, de retrouver son équilibre et sa cohésion d’antan qui ont fait son histoire. Soulignons que le socle social de ce peuple lui vient de certaines valeurs intrinsèques : le respect de la vie humaine, la solidarité, la dignité, la tolérance, la détestation de toutes les formes d’injustice et d’oppression. C’est un peuple pacifique qui jamais n’eut essayé de dominer ses voisins. Plutôt, il a su intégrer tous ceux qui cherchaient terre, refuge, hospitalité.

Conscient qu’un peuple aussi éveillé et fier de ses valeurs pouvait constituer un danger à son pouvoir, Eyadema, conseillé par ses mentors impérialistes français, a très tôt mis sur pied une politique cynique sous des dehors acceptables.

Si sous Eyadéma et plus tard sous son fils la descente aux enfers a continué et s’en est allée s’amplifiant, il faut remonter le temps, jusqu’à l’invasion allemande pour en saisir la pertinence.

LES ALLEMANDS ET LE PEUPLE BASSAR

Quand les européens ont décidé de coloniser l’Afrique et avaient concrétisé le partage du continent à Berlin, le Kaiser Allemand s’est choisi le Togo.

Le discours du roi des belges, le pacte colonial et la conférence de Berlin prouvent à suffisance que les européens avaient développé une stratégie et mis en branle une idéologie pour dompter les peuples africains. Ces européens forts des connaissances glanées ci et là sur les peuples grâce aux études ethnologiques et anthropologiques faites par les éclaireurs (explorateurs, missionnaires...) surent s’y prendre pour coloniser le continent.
Au Togo après que les allemands signèrent avec le roi Mlapa II, ils descendirent vers l’intérieur du pays (hinterland) avec l’intention de signer des traités similaires. Mais ils eurent à faire face à une population hostile à l’envahisseur. Pour venir à bout des bassar intrépides, L’histoire nous apprend que les allemands eurent recours à des massacres systématiques après avoir subi de lourdes pertes. Ensuite ils vont s’attaquer à l’ordre social coutumier qui constituait l’ossature sur laquelle tenait l’équilibre de la société bassar. La chefferie traditionnelle, élément centrale de la cohésion bassar fut mise en mal.

Bassar, on le sait, est organisé en clan et à chaque clan revenait une partie de la gestion de la communauté. À l’un des plus importants et puissants clans, les natakab, revenait le droit légitime de pourvoir en son sein le chef de la communauté. Comme dans la plupart des sociétés africaines, celui-ci était le gardien des us et coutumes, il était le chef spirituel du peuple et il veillait à l’équilibre, à l’harmonie et à la protection de ses sujets.

Il nous souvient, pendant les guerres successives contre les envahisseurs dagomba et ashanti, le peuple bassar pour protéger son chef, le cachait à Kipedibou, un quartier où vivait à Oukore un groupe très engagé de natakab.

Le chef qui vivait dans son fief à wadande, obligé de se réfugier dans une grotte au flanc du mont barba, dut y élire domicile devant les attaques permanent de ses ennemis sous la protection, dit-on, d’un lion. On comprend pourquoi donc cet animal est devenu depuis lors un des totems des bassar.

Les allemands ont décidé après leur victoire de rassembler la population pour qu’elle leur présente le chef. Il se raconte qu´il y avait un nommé TAGBA qui attira l’attention des allemands par son habillement policé (un boubou, un chapeau, des souliers) alors que la quasi totalité de la population était en cache sexe, et recouvert des peaux d’animaux, accoutrements familiers de chasseurs. Pour les allemands le sieur Tagba avait le profil idéal : l’habit a fait le moine ! Le représentant allemand s’était donc tout désigné. Non véritablement connu du milieu, Tagba serait refusé par la population. Les allemands imposèrent nonobstant les protestants, le mystérieux inconnu qui fut intronisé chef coutumier. Tagba devint ainsi, par la force des choses, le chef des bassar.

Quelque chose venait de changer dans l’âme du peuple bassar.
Quand les colons français prirent la relève, ils reconnaitront ce règne établi. Depuis cette imposition d’un chef rejeté par la population, les divisions apparurent dans cette région entre bassar. Dopé par le soutien des français après celui des allemands, et aussi par un jeu d’alliance et de filiation et bien des décennies plus tard Tagba finira par être reconnu le chef de fait. Les natakab pour autant n’ont jamais digéré cette usurpation, et sont rentrés en résistance avec la plupart des autres clans.

La lutte des indépendances viendra envenimer ces antagonismes.
C’est donc tout naturellement que la majorité du peuple bassar qui ruminait cette humiliation, ce blasphème et cette torsion de leur coutume par les colons et alliés, vont massivement se joindre à la lutte des autres peuples du Togo contre la France symbole de la domination étrangère.

Qui d’autre pouvait mieux comprendre l’oppression qu’un peuple qui a subi une remise en cause si profonde de son ordre social et spirituel ? Qui d’autre qu’un peuple dont les relents culturels et philosophiques ancrés dans son inconscient collectif lui rappellent, comme un mantra, le devoir sacré de combattre toute domination pour rester libre ?

La lutte exemplaire du peuple bassar pour l’indépendance du Togo
Les colons français à la suite de leurs voisins allemands pensaient avoir brisé l’esprit indomptable des africains, et particulièrement du peuple bassar. Ils ont eu la désagréable surprise de constater que les fils et filles de la région n’avaient rien perdu de leur esprit rétif. Très tôt les indépendantistes trouveront un écho favorable auprès de la majorité du peuple. Très organisé autour de certaines grandes figures, le peuple bassar sera à la pointe de la lutte. Malgré tous les moyens de répression, le harcèlement et les mille tentatives pour diviser le peuple, le colon n’a pas réussi à entamer la détermination de Bassar. Nos pères, malgré leurs maigres ressources issues des activités agricoles, cotisaient avec discipline pour soutenir la lutte. Les fonds alors rassemblés étaient régulièrement convoyés à Lomé auprès de l’un des grands leaders indépendantistes, le célèbre Pa de Souza.

Alerté, le gouverneur de la région interdit le courrier. Pour contourner cette interdiction nos parents ont choisi un patriote, le nommé KISSA OUGAN qui, à pied, convoyait sans cesse les fonds de la lutte jusqu’à Mango où un correspondant en la personne du valeureux bassar ALI TCHONCHOKO (oukore npkene) s’en chargeait. Il était désigné pour faire parvenir la contribution au destinataire Pa de Souza à Lomé. Cette bravade et ce désintéressement de jadis doivent interpeler aujourd’hui les citoyens engagé dans la lutte de libération mais qui encore rechignent à s’acquitter des cotisations demandées.

Dans tous les quartiers et cantons de la région, des patriotes déterminés et convaincus se sont joints au mouvement et y ont pris une part active. Ainsi on peut citer :
A Wadande nous avons Tchedre Bikangni (Nadjombe Bouraima), à Nangbani, Sonhaye Akouma , Fare Ankloui; à Binaparba, Gbandi Koukou qui sera plus tard battu à mort en 66, Nakpane Banouktou ; à Bicotibe, Mamam Kassegma ; à Kpankissi l’ Amazone, une femme intrépide nommée Tchein Amina à Kodjodoupou ; à Bitchabe, Koupokpa Djawaye, Ouadja Kpatchine Wadan , Kougbeou Lantam ;Sans oublier Gnandi Tante a Biyakpabe; à Kabou , nous avons des noms comme Djato, wassao tchlare ismaila(oukpandoupou), Dikeni Aboulkkerim, Baba Toma Alassane dit Oumalkpan et père de Nabourema, vice président actuel de l’ANC , Tchaye Badji, encore vivant et malgré ses 82 ans, politiquement actif. Il est le président ANC de Kabou, Moumouni maman qui sera élu député CUT en 58 de Kabou, Anwou Rufai NANDJA( père du général Nandja ); a Guerin-Kouka il y avaient Djado,Oubote Wassaou.

La liste sera longue pour citer tous ces valeureux fils et filles du milieu qui, avec bravoure, ont tout donné, certains mêmes jusqu’ au prix de leur vie pour la patrie.

Ces moments de lutte pour l’indépendance constituent une période exaltante qui mérite une attention dévote. C’est un legs pour les générations futures.

En effet Bassar fut la région où l’identité de la nation togolaise prit forme. Les bassar n’étaient pas seuls, il y avait une Union sacrée des patriotes de plusieurs autres régions du pays vivant à Bassar ; en l’occurrence une forte communauté des gens dites du « sud » pour la plupart des commerçants et des fonctionnaires. Un brassage d’hommes et de femmes venus d’horizons divers et bénéficiant de la largesse de la population indigène reconfigure tout Bassar. Rattaché par le destin au moment de la lutte, unis dans la même foi - celle de libérer leur pays- ces vaillants togolais se sont battus pour la Patrie.
Rappelons que le Dr Trenou, messieurs Josué, koukou Mable, Gaba Laurent Quenum etc. ont constitué avec les hommes et les femmes du terroir le noyau dur du Comité de l’Unité Togolaise (CUT), le parti nationaliste.

Peu ou prou de togolais savent aujourd’hui que le Dr Trenou a été élu pour la première fois avec la liste du CUT bassar à la première Assemblée Territoriale (1946-1951) et siègera comme secrétaire général dans le bureau de cette assemblée présidée à l’époque par feu Sylvanus OLYMPIO, Fare Anklui, bassar lui aussi y figure. Le vieux Karbou originaire de Bafilo était aussi un des grands cadres et Trésorier adjoint du CUT. Le vieux Salami, père du syndicaliste Salami était quant à lui le trésorier.

Concitoyenneté assumée, fraternité exemplaire, loin des considérations ethnocentriques que le régime du RPT nous a pendant des décennies enfouies dans la tête. Pour le bassar d’alors, il est avéré que seules comptaient les compétences réelles ou présumées du candidat. N’est-ce pas là dans l’intérêt national l’exemple de ce que devrait être le comportement citoyen ?
Le combat de ces patriotes a contribué énormément à la victoire du parti nationaliste qui avait remporté tous les sièges, sauf à Guerin- kouka où le candidat progressiste avait remporté un seul siège. Même élu sur cette liste pro colon, Gbengbeni votera toujours à l’Assemblée pour le CUT jusqu’ à l’assassinat d’OLYMPIO. Il rallia ensuite EYADEMA. Dans un Guérin-Kouka affaibli par la répression coloniale et dominé par quelques élites pro françaises, contraint, Gbengbeni se présentera sur la liste des progressistes.

La lueur d’espoir et celle d’un avenir radieux pour notre pays, le Togo, ne tardera pas à s’estomper avec l´irruption sur la scène politique d’Eyadema, marionnette du colon français. Ce dictateur va remettre en cause les acquis de l’indépendance obtenue aux prix de sacrifices immenses par nos pères et nos mères.

Beaucoup de ces patriotes connaitront au lendemain de ce coup d’arrêt brutal soldé par l’assassinat de Sylvanus Olympio, la prison, les bastonnades, l’humiliation, l’exil et même la mort.
A Bassar ceux qui sont vus comme des héros à l’instar de Bikagni et Mablé seront sérieusement violentés.

Pour se venger des nationalistes qui avaient, en arrivant au pouvoir, voulu rétablir la justice en remettant au Natakab de Wandande le pouvoir de la chefferie traditionnelle qui leur revenait de droit, des représailles furent régulièrement organisées par des expéditions punitives et des arrestations. Le comble : l’assassinat de deux frères de Wadande, Djanta Sei (militaire nationaliste, revenu en vacances) et Issoufou Nikabou . Le commanditaire de ces assassinats serait le feu chef Kpamadji qui, entre temps, avait perdu le pouvoir avec la victoire des nationalistes.

Malgré la répression, le harcèlement, la discrimination dans l’administration, dans l’armée, le Bassar n’a jamais courbé l’échine et continuera l’héroïque combat en réorganisant la résistance contre les usurpateurs. Puissions-nous nous en inspirer pour relancer ce combat pour un Togo prospère et définitivement libéré.

Tchapo sinaa , Hamburg