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Interview de Clément KLUTSE : « Le Togo va mal et accumule un retard considérable »

Togo - Politique
Clément KLUTSE évoque son ambition, sa carrière politique en Allemagne et analyse l'actualité sociopolitique au Togo à travers cette interview.
Qui est Clément Klutsé ?

Je me définis comme homme politique afro-allemand d’origine togolaise résidant en Allemagne depuis presque deux décennies. J’ai complété mes études universitaires en Business Administration à l’Université de Hambourg où j’ai depuis élu domicile. Sous ma casquette politique, je suis membre du Parti des Chrétiens Démocrates CDU de la Chancelière Merkel qui m’a fait l’honneur, en tant que 1er Africain, en me nommant candidat d’abord pour les élections régionales de Hambourg en 2014, puis après pour les élections du parlement de l’Etat de Hambourg en 2015. Au cours des 5 dernières années, j’ai siégé en tant que parlementaire co-opté (adjoint ou substitut) au Parlement régional de Hambourg Nord dans la Commission Intégration et affaires sociales où je viens d’ailleurs d´être reconduit dans la même fonction pour la prochaine législature.
Au plan professionnel, je suis indépendant, consultant en management. J’avais commencé ma carrière à la Coopération technique allemande en Allemagne, avec un séjour ponctuel à Ouagadougou au Burkina Faso. Je fus par la suite manager de vente responsable de la France dans une grande société allemande de la place, puis quelques années plus tard consultant en entreprise pour une organisation de la Chambre du Commerce de Hambourg avant de me mettre à mon propre compte.

Votre parti CDU a remporté les élections européennes mais reste fragilisé après la démission d’Andrea Nahles, la cheffe du Parti social-démocrate (SPD). Est-ce un coup dur pour la chancelière Angela Merkel, une semaine après les européennes ?

Il faut noter que la démission d´Andrea Nahles survient après la débacle du SPD aux dernières européennes qui ont plutôt vu la percée des Verts écologistes. Actuellement, les sociaux démocrates constituent la 3ieme force politique en Allemagne, avec seulement 13% d´intention de vote derrière la CDU (27%) et les Verts (26%). Naturellement que pour la CDU, parti majoritaire au sein de la coalition avec le SPD au plan fédéral, ceci est un coup dur, surtout si on se rappelle comment on en est venu à cette coalition après les dernières élections du Bundestag de Septembre. 2017. Après les élections du Bundestag et après d´âpres négociations, il a fallu presque 6 mois pour former le gouvernement actuel, et en partie contre la volonté d´une frange de la base du SPD qui ne voulait pas rentrer dans cette coalition. C´est donc clair que les résultats des européennes ont mis une certaine pression sur la chancelière, et aussi au plan interne, sur la marche à suivre au cas où les sociaux démocrates se retiraient de la coalition, ce qui supposerait des élections législatives anticipées avec toutes ses conséquences aussi bien sociales,économiques que politiques. Actuellement, les Partis d´extrême droite ont aussi le vent en poupe. Heureusement que jusqu´ici la raison a prévalu.

Qu’est-ce qui explique l’avancée des Verts en Europe?

Au niveau de notre section de la CDU Barmbek/Hambourg où je suis membre du comité exécutif, nous étions depuis longtemps dans une logique d’analyse de la poussée des écologistes au plan politique. Nous avions d´ailleurs été l´une des premières sections à siéger après les européennes pour analyser les résultats et faire des recommandations au Parti. Plusieurs facteurs permettent à notre avis d´expliquer ce phénomène :

a- Les Verts savent bien surfer sur les thèmes politiques du moment et émotionaliser le débat politique tels que le débat sur le climat, la retraite, les logements, l’assurance chômage etc… Ils sont pour le moment confortables dans leur rôle de parti d’opposition.

b- N´étant pas aux affaires, ils font des promesses difficilement réalisables. Pour exemple: dans leur programme, la seule politique de climat coûterait à un gouvernement des Verts 100 milliards d’euros. Toutefois, il manque de plan de financement d’un tel projet.

c- Les partis traditionnels comme la CDU ou le SPD, il faut le souligner, manquent de flexibilité, la CDU jugée plutôt d´assez conservateur et manquant d’ouverture sur d´autres couches de la population comme les migrants par exemple, le SPD traditionnellement parti de la classe ouvrière et des syndicats a perdu en crédibilité, notamment avec le gouvernement Schröder en imposant des reformes (surtout connues sous le nom de Hartz IV) qui ont pénalisé la classe faible de la société. Les Verts par contre fondés seulement en 1980 ont su, avec le temps, apprendre des erreurs des autres au point de se hisser aujourd´hui en force politique qui attire des électeurs déçus aussi bien de la CDU que du SPD. Bien plus, ils font aussi appel à un électorat non seulement plus plus jeune, mais aussi plus divers, plus cosmopolite et plus urbain. A cet égard, ils ont enregistré une hausse massive de votants aux dernières élections européennes de 2019 , notamment de la part des jeunes électeurs, surtout préoccupés par les questions climatiques qui ont trait à leur avenir, thème à la limité négligé jusqu´ici par les autres partis.

L’extrême droite aussi a progressé. En Hongrie par exemple avec Viktor Orban, les valeurs qui fondent l’Europe tombent-elles en déclin ?

C’est vrai que depuis quelques années déjà, la notion de solidarité tend à disparaitre des valeurs morales en Europe. La réalité aussi c´est que contrairement à la perception qu’on a de l´Europe en Afrique, les conditions de vie deviennent de plus en plus difficiles aussi en Europe. Du coup, les populations européennes tendent à se replier sur elles-mêmes, d´où la montée des extremistes comme Viktor Orban en Hongrie ou Salvini en Italie. Le cas actuel de la jeune Capitaine Rackete qui vient de secourir 40 migrants en Méditerranée avec son bateau et toute la levée de bouclier en Italie en est une illustration. En réalité, le vrai problème est ailleurs : les inégalités dans les pays industrialisés sont en augmentation - non seulement la plupart des Allemands et européens sont d’accord là dessus, mais aussi les études sociologiques le confirment. Une enquête récente confirme que neuf Allemands sur dix exigent un nouveau système économique. Malheureusement les partis d´extrême droite projettent plutôt une vision simpliste des choses et les boucs émissaires sont vite trouvés. C´est donc les migrants qu´ils faut combattre selon eux pour résoudre les problèmes.

Comment alors réguler cette poussée extrémiste?

Les extrémistes tirent avantage des inégalités sociales et du mécontentement du moment qui y est corollaire. Exiger la justice sociale suppose qu´il y a des injustes qui se passent dans la société. Depuis les réformes Hartz IV, l’Allemagne discute de plus en plus de justice sociale. Les études selon lesquelles l’inégalité des revenus et l´accès inéquitable à l’éducation pour une large frange de la population continuent, alimentent le débat. Généralement, il est question d´une meilleure redistribution par l’État et de meilleurs avantages sociaux. Le sujet occupe les esprits et c´est pour cela que j´ai proposé personnellement au niveau de ma section de la CDU, de nous concentrer plus sur le débat social pour les prochaines périodes électorales et au-delà. En tant que Parti d´ascendance chrétienne, notre leitmotiv qui est de mettre l´Être humain et la justice sociale au centre de nos préoccupations est devenu un impératif si on veut rester un Parti de centre-droit.

Vous avez pris une part active lors de ces élections européennes en appelant à barrer la route aux populistes. Etes-vous objet d’actes racistes dans votre pays d’adoption ?

La discrimination raciale, l´exclusion ou tout autre acte tendant à faire abstraction de nous ne peuvent pas être niés d´autant plus qu´en tant que personne d´origine africaine, la couleur de peau nous confère déjà de facto l´appellation de minorité visible. C´est clair donc, de temps à autre, ici et là, de manière subtile ou des fois explicite, on est victime du racisme. C´est l´une des raisons d´ailleurs qui m´ont aussi amené à m’engager en politique. Je peux m’estimer heureux d´avoir la grâce et le privilège d´être là où je suis actuellement et de défendre les valeurs et les convictions humaines auxquelles je crois, d´être aussi par là le porte-parole d´une communauté presque aphone depuis trop longtemps. Le plus encourageant est que je suis surtout écouté et c´est ce qui me motive.

Vous ambitionnez de devenir maire de votre commune de Hambourg. Envisagez-vous changer le regard sur la communauté noire en Allemagne ?

En réalité pour les dernières élections régionales couplées aux européennes, ma candidature était plutôt formelle. Pour des raisons stratégiques, notre section CDU a suggéré que je sois candidat, mais je n´ai pas fait campagne à titre personnel, conformément à la volonté du Parti car l´idée est de me positionner pour les prochaines élections parlementaires de l´Etat de Hambourg de février de l´année prochaine qui me confère une plus grande visibilité et une plus grande liberté d´action. Il faut noter que le système électoral en Allemagne est un systéme complexe. Etant une nation fédérale, le système électoral diffère selon chaque Etat.

Avec environ 1,8 million d’habitants, l´Etat de Hambourg est la deuxième plus grande ville d’Allemagne, après Berlin, et la plus grande ville de l’Union européenne, qui n’est pas une capitale. La région métropolitaine de Hambourg compte plus de cinq millions d’habitants. Dans l’agglomération, vivent autour de 2,2 millions d’habitants. La zone urbaine est divisée en sept régions et 104 districts. Juste pour vous dire que Hambourg est un Etat dans l´Etat avec son gouvernement et ses parlements régionaux et central.
Je viens de boucler cinq ans au parlement régional de Hambourg-Nord en tant que parlementaire co-opté en charge des questions d´intégration et des questions sociales. Naturellement que ça a permis d´avoir pour une première fois une visibilité d´un afro-allemand dans ce Parlement qui toutefois est limité dans ses actions. Pour pouvoir impacter réellement la politique d´intégration et faire des propositions de lois qui bénéficient à la communauté africaine, c´est au Parlement central de l´Etat de Hambourg qui détient le plus de compétence. Mon Parti a donc jugé bon de me nommer à cet effet encore candidat pour cette élection en février 2020, la précédente de 2015 n´ayant pas été concluante pour nous. C´est à cela que nous concentrons actuellement nos forces et énergies.

Suivez-vous l’actualité politique au Togo ? Quelle analyse faites-vous ?

Il est clair que le Togo, mon pays d´origine où je suis né, où j´ai grandi et où j´ai de la famille et des amis, ne peut pas me laisser indifférent. Déjá il faut noter qu´étant de la Diaspora, une grande responsabilité nous incombe, surtout vis-à-vis de nos familles. Le sort des populations qui manquent des besoins les plus élémentaires comme l´eau potable ou s´alimenter décemment avec 3 repas par jour et ceci, depuis des décennies, nous indigne et nous offusque. Le taux de chômage des jeunes et le manque de perspective sont autant de facteurs et de causes de délinquance et de la perte des valeurs morales dans la société. La chute du niveau éducatif doit interpeller les dirigeants si tant soit peu ils ont une vision pour ce pays qui regorge d´énormes potentiels. Lors de mon séjour il y a quelques années à Ouagadougou dans le cadre d´un projet de l’Union Européenne et de la GIZ, j´ai été impressionné de combien les ressortissants d´autres pays africains comme le Niger, le Mali, la Côte d’Ivoire, etc… ont exulté les Togolais qui fûrent professeurs/ enseignants, médecins, comptables, directeurs de sociétés, bref des exemples dans leurs pays respectifs. Aujourd’hui on parlerait plutôt de déchéance, de décadence ou même d´effondrement de ces valeurs et compétences. S’ajoutent la corruption et le mépris qui font que beaucoup ont perdu confiance dans leurs dirigeants politiques. La liste est longue et pour faire renaitre ce pays, il faut des reformes à tous les niveaux et établir une vraie démocratie au Togo. Tout le reste ne sera qu´une fuite en avant.

Envisagez-vous un jour vous engager en politique au Togo ?

En réalité, l´idée ne m´a jamais effleuré l´esprit. En m´engageant en politique ici en Allemagne, j´étais conscient de mon choix. Pour moi, la définition primaire de la politique qui se décline comme l´art d´un rassembleur est plus que valable. En Allemagne, il y a un travail énorme à faire dans ce sens comme bâtisseur de pont entre ma communauté et la société majoritaire. Ceci étant, je joue dans mon Parti le rôle de pionnier comme les responsables politiques aiment à me le dire et dans ce sens, j’ai beaucoup à faire. Naturellement que pour le Togo, on peut apporter sa contribution au développement sans pour autant s´impliquer directement en politique. La finalité de nous tous, qu’on soit en politique ou non, est de faire en sorte de bâtir un jour un Togo prospère où il fera bon vivre pour tous ses filles et fils. C´est aussi ça la politique, l´art de participer à la gestion la cité où que l´on soit.

Si oui, vous n’avez pas peur des sorts réservés à Kofi Yamgnane, Alberto Olympio et François Akila Esso-Boko ? Si non, avez-vous peur des sorts réservés à Kofi Yamgnane, Alberto Olympio et François Akila Esso-Boko ?

Avant de me glisser en politique allemande, je dois dire que dans les années 90/2000, j´étais assez impliqué dans la politique togolaise où j´ai eu des rapports assez étroits avec des responsables politiques et pas des moindres. La réalité est que le débat politique tel qu´il est mené aujourd´hui a beaucoup gagné en émotion. Les gens n´arrivent plus à séparer le débat factuel des débats de personnes au point que les insultes, injures ou attaques personnelles ont pris énormément le dessus, ce qui est regrettable. Je comprends aussi que plus de 50 ans de dictature et de frustration ont amené à ce point, mais croyez-moi, vous ne pouvez pas faire la politique si vous ne gardez pas la tête froide.

Lorsqu’ il y a 5 ans, mon parti la CDU m’avait nommé comme candidat pour les élections parlementaires de l´Etat de Hambourg, ce qui fut d’ailleurs une première pour un Africain, j’ai été attaqué par certains compatriotes ici qui justement faisaient le parallèle avec Kofi Yamgnane et Co, me prêtant des intentions. Ceci nous retarde aussi dans l’avancement de la lutte pour la démocratie que nous voulons bâtir au Togo. Si Kofi Yamgnane ou Akila Esso-Boko veulent et peuvent apporter leur contribution à bâtir un Togo heureux et prospère, pourquoi les en empêcher aussi longtemps qu’ils peuvent faire valoir leurs compétences ? L´Allemagne prospère et florissante d’aujourd’hui a été aussi en partie été bâtie par les exilés qui y sont retournés après la Seconde Guerre Mondiale pour apporter leur contribution après avoir acquis des expériences aux Etats-Unis et ailleurs. C’est aussi ça l’amour de la patrie. Pour l’heure, le débat n’est pas pour moi à ce niveau.

Un mot pour conclure cet entretien

Pour conclure, je crois que nous devons avoir l´honnêteté de reconnaitre que le Togo va mal et accumule un retard considérable dans la sous-région. En tant qu’homme politique, je rencontre et je discute énormément non seulement avec d´autres personnes de la communauté africaine, mais aussi avec des dirigeants politiques allemands. Nul n’est besoin de reprendre ici ce qui est connu de tous. Mon appel sera plutôt de faire en sorte, qu’on soit du régime en place ou de l´opposition, de mettre en avant le sens patriotique sans lequel aucun pays ne peut se développer.
- Au pouvoir, de permettre plus d´ouverture pour déboucher sur une vraie alternance.
- A l’opposition, au-delà des ego et des avantages personnels que certains en tirent, essayer de se pencher aussi sur le Togo, notre bien commun, à léguer à la génération future. L´histoire en sera reconnaissante.
- A la diaspora. acquérir ou aiguiser nos compétences car au-delà des transferts de fonds, c’est notre capacité de nous mettre au service du Togo de demain en transférant nos expertises, en créant des entreprises, et partant, des emplois, en servant de ponts entre nos pays d´accueils et notre pays d’origine , etc. qui feront du Togo l´or de l´humanité que nous voulons bâtir.

Aussi, personne n’est assez bon pour diriger une autre personne sans son consentement.

Merci et bonne chance

Merci ! Bon courage à vous et plein succès à votre journal.