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Sortie du livre « Les défis de la dématérialisation en Afrique » de KOGOE Eyoukéliyè Jean-Baptiste

Togo -
KOGOE Eyoukéliyè Jean-Baptiste, un expert informaticien à la Commission de l’UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest Africaine) vient de publier aux Editions Edilivre en France, un important ouvrage informatique intitulé : « Les défis de la dématérialisation en Afrique ».
En effet, l’apparition de l’internet dans les années 70, suivi de sa démocratisation au début des années 90, a engendré de profondes mutations dans la société. Tous les secteurs d’activités économiques, sociaux, culturels, politiques pour ne citer que ceux-ci sont fondamentalement bouleversés par ce nouvel outil de communication. Les transactions qui se faisaient auparavant par échange de données informatisées (EDI) à vase clos dans des réseaux privés fermés B2B et B2C, se sont littéralement effondrées avec l’apparition du réseau ouvert et libre offert par l’internet. Il s’agit de nos jours d’une véritable révolution sociétale tout aussi importante que la révolution industrielle à laquelle l’on assiste et qui emmène de nombreux pays à revisiter le droit en la matière.

La société contemporaine est celle du tout numérique, du tout connecté et du tout partagé. Cette révolution numérique modifie profondément la manière même d’être de l’humain, car ses repères spatiaux temporels en sont littéralement reformatés et bouleversés. C’est à tout un nouveau type de société que nous emmènent à flots de vagues ces nouveaux types de dématérialisation des échanges et des contacts. Dans la nouvelle société du numérique contemporaine, la dématérialisation des données, des documents et des échanges tient le haut du pavé. La dématérialisation touche dans les pays développés tous les domaines de la société, que ce soit dans les marchés publics, les élections, les contrats commerciaux et de consommation, dans les services fiscaux, douaniers, sociaux. C’est tout le modèle même de l’entreprise qui est repensé à l’aune du numérique. Cette tyrannie du zéro papier est depuis le début des années 2000 fortement ancrée dans la société occidentale et tend depuis peu à s’entendre au continent africain. Ce qui pousse à se poser la question pertinente des enjeux de cette dématérialisation sur ce continent, objet de cet ouvrage informatique.

Ce livre effectue dans un premier temps une analyse et pose un diagnostic sur l’environnement socio-économique, historique, culturel et anthropologique africain au regard des contraintes liées à la dématérialisation, puis dans un second temps fait une étude critique sur les défis de la dématérialisation qui attendent les nouveaux aventuriers du digital sur le continent africain à travers les cinq (05) piliers de la dématérialisation : juridique, technique, opérationnel, organisationnel et écologique. L’ouvrage se termine par un recueil de la jurisprudence dans le domaine de la dématérialisation. Le livre est disponible en vente en ligne sur Amazon France au format papier et numérique (Kindle) et sur le site web de l’éditeur www.edilivre.com.


Nom de l’ouvrage : Les défis de la dématérialisation en Afrique.
Genre : Informatique.
Nombre de pages : 220
Nombre de mots : 85507
Auteur : KOGOE Eyoukéliyè Jean-Baptiste
01 BP : 767 Ouagadougou 01
Burkina Faso
Tél. : (00226) 78 69 78 50
(00226) 72 68 56 49
(00226) 74 50 21 23
E-mail : kog_jb @ hotmail.com
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Interview de l’auteur de l’ouvrage, KOGOE Eyoukéliyè Jean-Baptiste


iciLome : Quelle est la problématique soulevée par votre ouvrage ?

KOGOE Jean-Baptiste : Depuis le siècle passé, le continent africain a été marqué par de nombreux bouleversements politiques et socio-économiques qui ont suivi les périodes de son indépendance. A peine a-t-elle eu le temps de s’adapter à ces changements exogènes que de nouveaux défis liés à l’assimilation des nouvelles technologies de l’information et de la communication se présentent à elle. L’Afrique subsaharienne a été pendant des siècles dépourvue d’écriture largement rependue. Sa civilisation considérée pendant longtemps comme celle des barbares est de nos jours envahie par les outils des technologies de l’information et de la communication. Parmi ces nouveaux horizons qui s’offrent à l’Afrique, celui de la dématérialisation est l’un des plus emblématiques. Les questions que peut se poser alors tout esprit bien averti sont celles-ci : L’Afrique est-elle préparée à adopter ces nouvelles technologies dont la dématérialisation des processus est l’un des plus grands emblèmes ? A quoi peut bien ressembler la dématérialisation chez les « barbares » ? Verront-ils le mal dans cette nouvelle civilisation du digital qui s’impose à eux de nos jours et dans les décennies à venir ? Cet ennemi appelé dématérialisation ne leur veut-il pas que du bien ? Si à première vue la problématique de la dématérialisation sur le continent africain peut paraître très enchanteur vu que le terrain est sans aucun doute à l’étape de défrichage numérique, elle pourrait très bien se transformer en cauchemar dans le cas où les aventuriers du digital ne prennent pas garde de tous les contours qui entrent en jeux dans tout projet de dématérialisation. Ecartelée entre une classe sociale majoritairement analphabète et illettrée, une intelligentsia digitale éphémère, des faiblesses économiques patentes, un pouvoir d’achat très faible pour ne pas dire incapacitant, des priorités nationales qui sont tous situées à la base de la pyramide de Maslow, des tares historiques, sociologiques et anthropologiques qui font émerger un sentiment d’ « afrophobie » du tout numérique, un cadre juridique pas très bien établi, un commerce électronique encore balbutiant, des déserts énergétiques et numériques presqu’universels, un cyberespace sous fortes menaces, des problèmes liés à la rustique infrastructure réseaux et télécom très haut débit, une babélisation rampante de la donnée qu’elle soit publique ou privée, l’Afrique peut-elle faire face aux grands enjeux mondiaux contemporains du numérique ? La dématérialisation en Afrique, oui pourquoi pas mais pour quels consommateurs ? Dans ce contexte peut-on vraiment oser parler de projet de dématérialisation dans cette « junk IT » africaine, qui comme pour la « junk Food » est capable de créer du désordre et du déséquilibre chez ses consommateurs ? Où peut nous mener ce modèle ? Et quels défis attendent les nouveaux « Tintin au Congo » du numérique ? Ce livre tente de répondre à toutes ces questions à travers les cinq (05) piliers de la dématérialisation : juridique, technique, opérationnel, organisationnel et écologique.

iciLome: Vous pointez du doigt dans votre livre l’arrière-plan de la tradition orale africaine comme potentiel obstacle à la dématérialisation sur le continent, qu’en est-il réellement ?

KOGOE Jean-Baptiste: L’un des principaux problèmes avec la tradition orale est lié à l’authenticité des sources ; il y a trop souvent un manque de fidélité dans la transmission des propos rapportés. Or la maîtrise totale et entière de la chaine d’identification et d’authentification est le cœur même de la sécurité de la dématérialisation. L’ « orocentrisme » de la culture africaine ne permet pas de pouvoir assurer les exigences de traçabilité, de fiabilité et d’imputabilité qu’impose la dématérialisation des processus, car en étant essentiellement basée sur la parole la société africaine a un soubassement volatil et non pérenne. Dans la tradition orale, le seul moyen de stockage est la mémoire individuelle ; or connaissant le mode de fonctionnement et les limites du mental humain, la durabilité et la non-réversibilité de l’information n’y sont pas garanties. C’est ce que compte assurer justement la dématérialisation des processus. Autre carence notable, l’absence totale de chronologie dans la tradition orale africaine, est en parfaite antinomie avec le souci presque obsessionnel de l’horodatage des données de la dématérialisation. Avant l’introduction du calendrier dans les cultures africaines, les sociétés africaines se basaient sur des concepts et repères empiriques pour situer un évènement dans le temps. Ainsi, était-il fréquent de situer les évènements par rapport à d’autres évènements notamment climatiques et environnementaux (l’année où il y eu beaucoup ou peu de pluie ; la saison où les récoltes ont été abondantes ; l’année de soudure ; etc.), familiaux (l’année de la naissance de tel enfant, du mariage d’un frère ou d’une sœur, etc.). Cet arrière-plan oral de la tradition africaine avec l’absence totale de chronologie est aux antipodes du devoir de précision temporelle qu’exige le « timestamping » des évènements de la dématérialisation à la tierce près. Les sources écrites et numériques apparaissent de nos jours plus dignes de confiance que la source orale de par sa grande volatilité. Comme le dit un proverbe chinois : « L’encre la plus pâle est préférable à la parole la plus forte ».

iciLome: L’alphabétisation des masses pourrait-il être aussi un des prérequis liés à la dématérialisation en Afrique ?

KOGOE Jean-Baptiste : L’analphabétisme et l’illettrisme ambiants qui règnent en Afrique, constituent le principal frein à une émergence d’une économie digitale portée par les plateformes collaboratives, administratives et dématérialisées. Les sociétés africaines qui n’ont pas dans leur grande majorité réalisé le prérequis du saut qualitatif de l’oralité à la tradition écrite livresque, auront de très grandes difficultés à réussir d’un seul coup le double saut ultime qui leur mènera dans la civilisation du digitale marquée par la dématérialisation à outrance et sa phobie de papier et de la matérialité. De l’abstraction de la parole à l’abstraction du digit 0 ou 1, l’Afrique aura sans nul doute à assumer un grand parcours de combattant si elle ne réalise pas au préalable comme les sociétés occidentales le passage obligé de l’alphabétisation de sa jeunesse et de ses adultes. Toutefois, l’alphabétisation à elle seule ne suffit pas, car il faudrait ensuite éduquer les populations africaines à la maitrise et l’utilisation des technologies de l’information et de la communication, afin qu’elles sortent de l’engrenage du néo-analphabétisme dans lequel elles sont.

iciLome: Quand est-il de l’utilisation des TIC dans l’éducation en Afrique ?

KOGOE Jean-Baptiste : L’utilisation des TIC dans l’éducation reste encore très marginale et embryonnaire dans la plus grande part des pays africains, ceci dû à des politiques publiques inefficaces, au manque d’infrastructure de base (électricité, appareil numérique, logiciel, accès internet), à la rareté des ressources financières et au manque de capacité des enseignants. Il en résulte une très grande fracture numérique dans l’utilisation des TIC entre les écoles d’un même pays, ce qui crée des disparités spatiales, socioéconomiques et liées au genre. Il est important de développer une « littératie numérique » en Afrique. La plupart des adultes dans les pays africains ne possèdent même pas de compétences de base en informatique. En 2014-2016, seuls 4% des adultes au Soudan et au Zimbabwe savaient copier et coller des fichiers. En Egypte seuls 2% des adultes savent utiliser les formules arithmétiques de base dans un tableur. Cette situation d’analphabétisme numérique et d’« illectronisme »  demeure après l’illettrisme l’un des plus grands handicaps à l’essor de la dématérialisation sur le continent africain.

iciLome : Votre ouvrage fait ressortir le manque de cohérence et d’ambition dans les textes juridiques africains (CEDEAO et Union Africaine) sur les services de confiance, pouvez-vous nous les énumérer ?

KOGOE Jean-Baptiste : Le développement de l’économie numérique passe par la mise en place d’un environnement juridique qui instaure un climat de confiance dans l’écosystème en ligne. Les entreprises, les consommateurs et les autorités publiques africaines hésitent encore à effectuer des transactions électroniques et à adopter de nouveaux services en ligne à cause d’un sentiment d’insécurité juridique qui entoure le numérique en Afrique. Or l’adoption de nouvelles règles communes pourrait accroitre la confiance dans les transactions électroniques et booster les services en ligne publics et privés, ainsi que le commerce électronique sur le continent africain. Dans l’Acte additionnel n° A/SA.2/01/10 du 16 février 2010 portant transactions électroniques dans l’espace de la CEDEAO deux articles notamment l’article 34 et l’article 35 définissent le cadre juridique des signatures électroniques dans l’espace CEDEAO. Il faut reconnaitre que le texte de la CEDEAO n’a traité le sujet des signatures électroniques que de manière très parcellaire en se contentant tout juste de reconnaitre à l’article 35 la validité de la signature électronique au même titre que la signature manuscrite. Plusieurs défis soulevés par les signatures électroniques ne sont pas traités par l’Acte additionnel n° A/SA.2/01/10 du 16 février 2010 portant transactions électroniques dans l’espace de la CEDEAO. Entre autres griefs non exhaustif qu’on peut trouver à l’Acte additionnel de la CEDEAO sur les transactions électroniques est que d’une part, il ne fournit pas un cadre transfrontalier et intersectoriel pour les transactions électroniques fiables, sécurisées et facile d’utilisation ; ne facilite pas l’utilisation transfrontalière de services en ligne ; ne garantit pas l’interopérabilité et la reconnaissance transfrontalières des certificats ; n’assure pas l’interopérabilité transfrontalière des signatures électroniques ; n’énonce pas les deux grands principes juridiques sur le numérique que sont la neutralité technologique, et la non-discrimination entre les signatures électroniques nationales et étrangères ; d’autre part ce texte de la CEDEAO n’incite pas à la mise en place d’un marché commun du numérique dans l’espace CEDEAO ; ne promeut pas une identification et une authentification électronique sécurisées, ce qui affaiblit la sécurité des transactions réalisées au moyen d’internet dans l’espace CEDEAO ; n’exhorte pas à la mutualisation des moyens et des ressources des Etats membres de la CEDEAO par la mise en place d’une infrastructure clé publique au niveau de la CEDEAO ; ne fait aucun cas des volets annexes des signatures électroniques que sont les documents électroniques, l’envoi recommandé électronique, les cachets électroniques, l’horodatage, les services de certificats pour l’authentification de sites internet ; et ne définit pas de cadre légal communautaire pour l’accréditation des prestataires de services de confiance, notamment en ce qui concerne leurs obligations, leur qualification, leurs responsabilités et leur contrôle. En résumé, l’Acte additionnel de la CEDEAO sur les transactions électroniques n’a pas créé les conditions juridiques appropriées pour la reconnaissance mutuelle de l’identification électronique, des signatures électroniques, des documents électroniques et des services de fournitures électroniques. Avec des schémas nationaux d’identification différents, les citoyens d’un Etat membre de la CEDEAO, ne pourront jamais utiliser leurs identifications électroniques pour s’authentifier dans un autre Etat membre de la CEDEAO. Ces barrières numériques sont en parfaite contradiction avec les objectifs du marché commun de la CEDEAO, dans la mesure où les prestataires de services ne pourront pas fournir des prestations transfrontalières au sein du marché commun de la CEDEAO. Pour lever les obstacles des entreprises dans leurs relations avec les pouvoirs publics et leur permettre de mener des activités transfrontalières au sein du marché commun de la CEDEAO, l’Acte additionnel n° A/SA.2/01/10 du 16 février 2010 portant transactions électroniques dans l’espace de la CEDEAO aurait dû permettre la reconnaissance mutuelle des moyens d’identification électronique au sein de l’espace CEDEAO au moins pour les services publics. Tous les griefs précédents portés contre l’Acte additionnel de la CEDEAO sur les transactions électroniques sont valables pour le chapitre I de la Convention de l’Union africaine sur la cyber sécurité et la protection des données à caractère personnel, qui règlemente les transactions électroniques sur le continent africain.

iciLome: Vous portez aussi dans votre ouvrage des critiques envers le règlement européen n° 910/2014 du 23 juillet 2014 sur l’identification électronique et les services de confiance ?

KOGOE Jean-Baptiste: Effectivement, pour tous les services fournis qu’ils soient nationaux ou transfrontaliers l’article 13 du règlement européen n° 910/2014 désignent les prestataires de services de confiance comme responsables des dommages causés intentionnellement ou par négligence à toute personne physique ou morale en raison d’un manquement aux obligations dudit règlement. Toutefois, ce même article édicte des règles de lois suivant que le prestataire de service de confiance soit qualifié ou non. Pour les prestataires de services de confiance non qualifiés, en cas de manquement intentionnel ou par négligence, il revient à la personne physique ou morale qui invoque les dommages d’apporter les preuves à charge contre le ou les prestataires de services de confiance non qualifiés concernés. Cette règle n’est pas appliquée lorsque le prestataire de services de confiance sur lequel porte une plainte est qualifié. On assiste à une totale inversion de charge, car les prestataires de services de confiance qualifiés sont présumés coupables au titre du paragraphe 1, alinéa 3 de l’article 13 jusqu’à ce qu’ils ne prouvent que les dommages ont été causés sans intention ni négligence de sa part. Cet article 13 du règlement européen n° 910/2014, instaure une sorte de culpabilité par avance ou par défaut des prestataires de services de confiance qualifiés, qui bien avant qu’ils puissent être en faute ou en manquement se trouvent condamnés par le règlement européen. Bien que le souci du législateur européen soit en apparence à travers cet article d’une part de faire émerger dans l’Union européenne des services de confiance qualifiés de qualité et d’autre part de protéger le consommateur de potentiels dérives et dérapages des prestataires de services qualifiés, il s’emble laisser subsister à côté de l’épée de Damoclès permanente qui plane sur la tête des prestataires de services de confiance qualifiés, un ghetto technologique et juridique dans lequel baignent les prestataires de services de confiance non qualifiés. La question qui surgie est de savoir si cette politique de deux poids deux mesures ne va pas créer au sein de l’Union, une Europe à deux vitesses régie tantôt par la présomption d’innocence pour les uns, tantôt par la présomption de culpabilité pour les autres ? N’y aurait-il pas ainsi une rupture au niveau du principe d’égalité de tous devant la loi ? Ce qui semble presque sûr c’est qu’il y aura une hiérarchisation de la qualité des prestations de services des prestataires de services de confiance entre ceux qui sont qualifiés donc soumis à de très fortes exigences et ceux qui sont non qualifiés sur lesquels le législateur européen consent un relâchement aux niveaux des contraintes juridiques, administratives et sécuritaires.

iciLome: La dématérialisation pose des problèmes notamment au niveau de la protection des données à caractère personnel, à cet effet, vous avez relevé dans votre ouvrage des insuffisances au niveau du RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données) européen, pouvez-vous nous dire lesquelles ?

KOGOE Jean-Baptiste: Oui effectivement, bien que le RGPD ai permis de progresser sur la voie de l’éthique de la donnée autant que de la culture de la donnée, elle comporte tout de même des imperfections. En effet, le RGPD s’est attaqué à un problème notoire actuel, celui de l’intelligence artificielle qui a inondé presque tous les secteurs d’activités dont certains importants tels que l’assurance et la banque. Désormais, le législateur européen offre le droit aux consommateurs de l’Union de pouvoir s’opposer contre un refus de leurs banques de leur accorder du crédit, ou à la revalorisation à la hausse des coûts de liés à une assurance à la suite d’une analyse automatisée basée sur ses antécédents bancaires ou d’assurance en terme de risque crédit ou risque accident/incident ou maladie. L’article 22 du RGPD stipule à ce propos que « la personne concernée a le droit de ne pas faire l'objet d'une décision fondée exclusivement sur un traitement automatisé, y compris le profilage, produisant des effets juridiques la concernant ou l'affectant de manière significative de façon similaire ». Cet article est salutaire en ce qu’il vient borner et ce à juste titre les limites de l’économie cognitive. Selon le RGPD l’intelligence artificielle ne devrait pas avoir le dernier mot en tout cas pas dans tous les domaines et secteurs d’activités. Cet article 22 du RGPD, introduit par le législateur européen, vient confirmer les paroles de Jules RENARD qui disait : « Seul l’humain peut avoir conscience de la perte de l’humain ». Toutefois, plusieurs questions portant sur la prise de décision basée sur les données et les algorithmes sont à ce jour non résolues par le RGPD, il s’agit entre autre des questions d’équité, de non-discrimination, de transparence, d’intelligibilité, de compliance, de loyauté, d’auditabilité, de redevabilité et de responsabilité des algorithmes qui n’ont jusque-là pas trouvé de réponse ni en droit de tradition romano-germanique ou ni dans le Common Law. En effet, les traitements algorithmiques sur les données personnelles recèlent plusieurs insuffisances qui ont été ignorés par le RGPD notamment : le manque de pertinence des données par rapport aux résultats à prédire ; l'excès de confiance et d’assurance par rapport aux résultats produits ; l'absence de transparence sur la logique algorithmique implémentée par les développeurs ; la pauvreté et la mauvaise qualité des données de base ; la reproduction volontaire ou involontaire des préjugées des concepteurs des algorithmes ; l'absence de mise à jour de la logique implémentée au regard des résultats produits, etc. Enfin, le RGPD n’a pas statué sur la mort numérique, ce qui peut laisser planer de probables divergences du droit du numérique des personnes décédées au niveau européen. Cette situation du RGPD soulève beaucoup de questions : que fait-on avec l’identité numérique d’un individu après sa mort ? Surtout que cette identité numérique survie bien au-delà de la mort de l’individu et est même falsifiable facilement ? Comment gérer au niveau européen les immenses cimetières numérique ? Que fera-t-on lorsque les données des personnes décédées dépasseront celles des personnes en vie ? La gestion post-mortem de l’identité numérique d’un individu particulièrement délicate et sujet à débat n’a pas pu malheureusement trouver de réponses et de solutions dans le RGPD.

iciLome: La dématérialisation pose aussi de nombreux problèmes en matière de cyber sécurité, à ce sujet comment l’Afrique doit-elle faire face à cette menace ?

KOGOE Jean-Baptiste : Le continent africain doit lutter contre la cybercriminalité au sens large du terme à savoir : les cyberattaques, les vols de la propriété intellectuelle, les cyber-fraudes électorales, …). Mieux, l’Afrique doit s’outiller et se préparer pour le « day after » ou le « jour d’après » d’un potentiel grand cyber-conflit planétaire qui reviendrait rebattre toutes les cartes dans le cyberespace et l’économie du digital. Dans cette optique, quelques grands défis à relever sont entre autres celui de la « cyber-fatigue » qui pourrait emmener l’Afrique à renoncer à rester en veille constante face aux nouvelles cybermenaces d’une part et d’autre part l’explosion de la « dette de sécurité » sur le continent africain causée par des vulnérabilités non réparées qui s’accumulent entre les différentes analyses des développeurs. La tâche n’est cependant pas très facile vu que les sujets liés à la cybercriminalité sont divers : résilience, filtrage, détection, remédiation, outils offensifs, etc. Les organisations régionales telles que l’UEMOA, la CEDEAO et l’Union africaine n’ont pas réussi à tirer profit de l’intégration régionale pour mutualiser leur cyberdéfense. Or la cybercriminalité n’a pas de frontière, elle est transnationale, trans-territoriale et transfrontalière. Pour lutter contre les cyberattaques sur le continent africain la réponse doit être globale. Le comportement des dirigeants africains face à ce fléau ressemble plus à des soins palliatifs qu’on apporterait à un grand malade souffrant en lieu et place d’un véritable traitement curatif. Plusieurs Etats africains après avoir adopté leurs lois sur la cybersécurité se sont frotté les mains comme si tout le travail était fait, alors qu’une loi si bonne soit-elle si elle n’est pas accompagnée de véritables projets mènera les Etats africains à l’échec total. Les Africains doivent former des ingénieurs sur place dans la cybersécurité, l’algorithmie, les mathématiques, le codage informatique ceci afin de pouvoir créer un vrai marché de « hackers white hats » capables de lutter contre les « cyberhacktivistes » « black hats ». Une fois ce vivier de hackers white hats constitué, l’Afrique pourrait démocratiser les bugs Bounty sur le continent, afin de se prémunir contre les éventuels bugs, failles de sécurité et vulnérabilités dans les produits numériques qu’elle conçoit ou consomme.

iciLome: Vous qualifiez dans votre ouvrage le système d’information des administrations publiques africaines pour reprendre votre expression de « Jéricho de la donnée », pourquoi ?

KOGOE Jean-Baptiste: Le système d’information de l’administration publique en Afrique ressemble le plus souvent à une forteresse plutôt qu’à un modèle d’ouverture. La « dark data » fait légion sur le continent africain, car lorsque les données existent elles sont cachées, pas ou mal intégrées, mal identifiées et mal exploitées, ce qui fait que le potentiel business de ce patrimoine n’est jamais réalisé. Pour renverser cette Jéricho de la donnée rien de mieux que la mise en place de politiques nationales capables de stimuler l’innovation technologique à travers l’ouverture des données publiques (open data). Ce n’est pas tant les données elles-mêmes que l’innovation qui porte ces données qui doivent toutes les deux êtres ouvertes. L’innovation dans le service public ne doit pas provenir que des structures de l’Etat, elle doit aussi et surtout être portée par le secteur privé qui y trouvera une occasion d’émancipation technologique incontestable. Le service public africain ne doit pas avoir peur d’ouvrir son système d’information et même d’y intégrer l’innovation venue de l’extérieur. L’outil maître pour venir à bout de la Jéricho des données est l’API (Application Programming Interface). Quoique l’ouverture des données puisse se faire aussi par téléchargement de jeux de données, l’API présente l’avantage d’exposer des jeux de données fraîches à chaque interrogation pour chaque besoin. Il faut libérer les données en Afrique, pour cela seul l’Open Data pourra permettre à l’Afrique de démocratiser la donnée tout en rompant avec cette babélisation des données qui fait encore loi sur le continent et qui empêche la conception et la réalisation d’applications innovantes « non prévus » mais critiques et stratégiques pour l’économie des données partagées. Le continent africain particulièrement les zones UEMOA et CEDEAO ne peuvent relever durablement les défis contemporains du numérique qu’en réalisant le saut qualitatif de l’ouverture des barrières douanières et tarifaires à l’ouverture des barrières technologiques.

iciLome: A quand l’ubérisation de la société africaine ?

KOGOE Jean-Baptiste : Votre question est très opportune quand on voit des pays comme la France qui est en train d’aller vers la dématérialisation à 100% des démarches administratives avec la mise en œuvre d’une politique de « single point of truth » intégrale et universelle marquée par les deux slogans : « Ne nous le dites qu’une seule fois » et le « Zéro justificatif » ou « Ne me dites rien, je sais déjà ». Face à ces grandes avancées sous d’autres cieux, l’Africain semble être spectateur de ces grands bouleversements socio-économiques et technologiques. En manifestant de la retenue face au tout numérique l’Africain se retrouve dans une sorte de déni de soi, car le tout numérique promeut un gène propre aux « barbares », celui de la « barbarization » mais cette fois-ci du digital. Les « barbares » africain sont sur le point de perdre la bataille face au « Gang des barbares » occidentaux du digital. Et portant, les prémices de cette disruption se sont déjà bien installées depuis des décennies dans l’économie mondiale à travers le commerce électronique, qui a aussi de nombreuses difficultés à prendre son envol sur les terres africaines. Ainsi, l’ubérisation de la société africaine demeure encore à ce jour une chimère. Les « barbares » africains ne sont pas pour la plupart préparés à accepter et adopter la barbarie du digital que nous impose la nouvelle civilisation ubérisée occidentale contemporaine. A l’heure de la disruption pour être plus précis de l’injonction sociale de l’innovation, l’Afrique semble trainer dans une certaine léthargie numérique. Après avoir raté la révolution industrielle, l’Afrique risque fort bien de rater celle du numérique et de l’industrie 4.0, si elle n’intègre pas la problématique du numérique dans ses politiques et programmes de développement. Pour ce faire, les dirigeants africains doivent changer de paradigme pour ne plus voir le numérique comme un simple secteur productif mais plutôt comme un important facteur de production. Le rôle des pouvoirs publics africains à l’aune de la révolution numérique mondiale doit être repensé afin que dans l’exercice de leurs pouvoirs régaliens de législateurs et de régulateurs, ils ne constituent un obstacle à l’éclosion et à la stimulation de l’innovation technologique. Bien au contraire, les pouvoirs publics africains se doivent d’être les porteurs et les évangélistes de cette nouvelle économie du digital qui est en train d’émerger sur le continent africain.

iciLome: Quels messages et conseils pratiques avez-vous en direction des managers et leaders africains ?

KOGOE Jean-Baptiste : Les décideurs africains sont appelés à changer de paradigme, car les TIC ne doivent pas être perçues comme uniquement un secteur productif mais plutôt comme des facteurs de productions qui peuvent constituer un très grand levier à fort potentiel de croissance et d’innovation. Les TIC jouent un rôle capital dans la dynamique de la productivité globale des facteurs. Les pays africains s’ils ne veulent pas continuer à être à la traine dans leur développement économique doivent s’approprier les TIC pour booster leurs essors. La dématérialisation bouleverse complétement le mode de travail et les modes d’accès aux services que ce soit dans le domaine public ou privé. C’est des pans entiers de l’entreprise qui voient ses méthodes et habitudes remises en cause par la dématérialisation. La dématérialisation est transversale et a un impact très important sur l’organisation de l’entreprise, car elle crée de nouveaux métiers et modifie structurellement ceux qui existaient déjà. Du support aux utilisateurs au service d’archive en passant par la direction des systèmes d’information (DSI), les consommateurs internes et les fournisseurs externes le métier va subir des changements et restructurations très profondes avec la dématérialisation. La dématérialisation n’a pas pour vocation première de venir transformer sous la forme immatérielle des processus qui se faisaient auparavant par des échanges papier, car une véritable dématérialisation n’a de sens que si elle interroge et remet en cause les pratiques grâce à la simplification, à la fluidification et à l’amélioration des échanges. Il s’agit là d’une véritable occasion de re-engineering des processus métier existant de l’entreprise, qui pour la plupart des cas sont devenus obsolètes et n’ont jamais été remis en cause. Dans un projet de dématérialisation l’existant ne doit jamais constituer un référentiel absolu, c’est un simple référentiel de travail. La dématérialisation exige dans bien des cas une totale remise à plat des processus métier, ce qui entraine des modifications profondes de la structure même de l’entreprise et de ses modes de travail. Le développement voire même l’exploitation du service dématérialisé peut être internalisé ou externalisé via un contrat de service, ce qui peut faire craindre dans une certaine mesure des menaces de type « shadow IT » sur l’entreprise. Quelle que soit l’approche adoptée, il demeure essentiel que la direction des systèmes d’information (DSI) ait un rôle important dans le pilotage du projet de dématérialisation. Dans le cas où l’exploitation du service dématérialisé est réalisé en interne un contrat de service doit être conclu de manière formelle entre la DSI et les directions conceptrices ou utilisatrices du service de façon à garantir le respect des performances et de la disponibilité à travers un SLA (Service Level Agreement) adéquat, qui généralement s’il n’est pas équivalent, s’approche d’un service de type « mission critical ». Pour garantir de pareil niveaux de service et de sécurité technique, juridique, organisationnelle et comportementale, certaines grandes entreprises de nos jours vont même jusqu’à créer une direction de la dématérialisation à part entière qui regroupe des compétences transverses : juridique, technique et organisationnelle. Dans tous les cas l’évolution des processus internes de l’entreprise induite par la dématérialisation engendrera l’apparition de nouveaux métiers pour prendre en compte les évolutions des modes de travail ou du système d’information.

iciLome : Enfin, à qui s’adresse votre livre et quel message de fin avez-vous à adresser à ces potentiels lecteurs ?

KOGOE Jean-Baptiste : Mon ouvrage s’adresse aux directions informatiques (DSI), aux architectes du SI, aux Responsables de la Sécurité du SI (RSSI), aux experts de la gouvernance des SI, aux directeurs de recherche et développement, aux architectes fonctionnels et techniques, aux consultants, aux assistants à maîtrise d'ouvrage ou à maîtrise d'œuvre, aux concepteurs et aux chefs projets d'applications de dématérialisation, aux juristes, aux directions des affaires juridiques (DAJ), aux formateurs, aux professeurs, aux étudiants, aux décideurs, etc. A tous ces potentiels lecteurs j’aimerais dire que mon livre « les défis de la dématérialisation en Afrique », est un véritable guide du routard numérique pour tous les aventuriers du digital qui veulent explorer les terres africaines. Ce livre est en vente sur le site web de l’éditeur français Edilivre : www.edilivre.com.