Pas tremblant, l’homme marche vers son destin. (C’est tout comme !) Mine grave, on peut dire, l’apercevant : voici l’homme ! Ferme, tête blanche, robe blanche, en silence, il cheminait Abandonné tout au long d’un lugubre trottoir Méditant sur le poids lourd qui seul peut l’émouvoir Il avançait et on sent bien que le minait Le sort d’une terre de plusieurs millions d’habitants Dont il portait la charge, malgré le poids des ans Il marchait, solitaire, comme pris entre des clôtures Et une rue grouillante de piétons et de voitures À gauche comme à droite, les branchages d’arbres étaient verts Mais pour le prélat c’était le pire des déserts. L’indifférence totale. Hommes, arbres, tout était vide Car ce qui torture le prêtre est un acte livide Conçu d’un bureau de cet endroit terrassant : Meurtre du Président d’un État indépendant Et à partir du meurtre, de ce bureau obscur D’autres actes du même registre pour rendre le système sûr Sûr pour qui ? Leurs intérêts cela va sans dire Ils n’ont jamais, vraiment pour dessein de conduire Quelque peuple que ce soit vers l’épanouissement Le système tue, le système blesse, le système ment Il n’hésite pas devant les incendies des villes Tâches grassement payées, exécutées par des individus Capables de mettre le pays à feu et à sang Auteurs, á leur manière de l’écriture du triste et macabre roman Recherchés par les inventeurs de guerres civiles. À l’œuvre dans d’autres pays d’Afrique, on les a vus. Rwanda, Côte d’Ivoire, Centrafrique ou Libye, Cette clique qui est pourtant par les peuples partout vomie Veut partout donner des leçons de droits humains Cependant qu’ici ils protègent des miliciens Baptisés par le système « Groupe d’Autodéfense » Dont le principe, il est clair, est la violence. Le prélat tourmenté par cette vision macabre Pouvait-il rester sourd, aveugle, muet, de marbre ? Cela s’appelle « stabilité et pouvoir fort » Le cycle infernal finira-t-il avant ma mort M’est-il donné de conduire mon peuple au bonheur ? S’est demandé continuellement le vieux pasteur Dos contre le mur blanchi, le drapeau tricolore Déchirant d’un geste les discours de stabilité Niant « Liberté-Égalité-Fraternité » Il exorcise le diable cruel qui le dévore. Ce n’est pas hier, ni aujourd’hui qu’á ce prélat On voudrait faire croire qu’un ancien tirailleur Transformé par le geste brutal d’un coup d’État Pour l’intérêt de ses maîtres en dictateur Puisse devenir un apôtre de démocratie On ne ferait pas croire non plus à ce vieux prêtre Que massacrer, affamer les populations Pourrait signifier leur apporter le bien-être. L’évêque, sans équivoque dénonce l’hypocrisie, Autant celle des hommes quecelle des nations Qui ont la prétention d’être pour tous des modèles Mais se constituent en associations criminelles, À l’occasion, pour défendre leurs seuls intérêts Enrobant cela dans un discours sur le progrès
Voilà l’homme, qui se reconnaît près du tombeau Mais plus vivant que tous les jeunes, ecce homo En croisade contre les aboiements des imbéciles La foule qui croit que les choses publiques sont utiles Seulement lorsqu’elles sont enfouies dans leurs poches Que les arbres n’ont de fruits que pour eux et leurs proches Voilà l’homme qu’écartèle la croix plantée en lui Par le père hier et par le fils aujourd’hui. D’une manière ou d’une autre, cette croix cinquantenaire Pour le berger et ses brebis est le calvaire.
Sénouvo Agbota ZINSOU
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