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Temps de crise, temps de dé-voilement

Togo - Societe
Tout le monde sait ce qu’est une crise, pourtant ce phénomène reste difficile à définir, et même parfois à décrire. C’est ainsi qu’au Togo, à propos d’une personne brutalement décédée, dont on demande la cause du décès, on vous répond parfois, « Il a piqué une crise ». Et on a du mal à s’imaginer ce que c’est : quel type de crise ?
Toutefois, ce qui est sûr c’est qu’une crise correspond à un moment exceptionnel dans la vie d’une personne ou d’un groupe. Elle fait ressortir le quotidien, comme un temps plat, marqué par la routine, elle fait du reste de la vie de la personne ou du groupe, un temps sans problème, un temps calme…

Oui c’est vrai, les temps de crise recèlent souvent bien des aspects négatifs : ainsi en est-il des maladies, où les crises, soit correspondent à une manifestation brutale de la maladie, soit, annoncent une aggravation de la maladie. Au niveau des groupes humains, la crise désigne aussi un moment difficile au plan économique (Crise Economique de 1929, Crise des Subprimes en 2008) ou sociopolitique (Printemps arabe en 2010).

Dans ce sens-là, ce que nous vivons en ce moment avec le COVID-19 correspond bien à une crise avec ce qu’elle comporte de désagréments : c’est d’abord une crise sanitaire puisqu’il s’agit d’une pandémie qui a déjà tué plus de 100 000 personnes, pandémie face à laquelle les systèmes de santé ont des difficultés à trouver des réponses satisfaisantes, mais c’est rapidement devenu une crise multiforme : économique, puisque l’activité économique mondiale est bouleversée et ralentie, politique puisque les gouvernements sont sur la brèche dans la perspective de rendre compte de leur gestion de la maladie, sociale, puisqu’elle a changé le mode de vie de millions de personnes, et finalement aussi spirituelle puisqu’elle interroge chacun sur le sens de la vie. Et la question de sens, est une question fondamentale. Et selon, François VARILLON, « l’interrogation sur le sens est ce qui nous définit comme homme »

A cause de sa gravité et de ce caractère multiforme, la crise du COVID-19 a révélé bien des choses qui seraient restées cachées sans elle. Ainsi en est-il de la fragilité de l’Occident qui, nous le croyions tous, disposait du meilleur système de santé du monde, mais qui peine toujours à trouver les bonnes solutions, alors que la Chine et d’autres pays d’Asie ont pu s’en sortir. Le COVID-19 a également montré la puissance des industries pharmaceutiques, des lobbys médicaux, avec la question de la Chloroquine, alors que des centaines de milliers de vie tiennent à l’application d’un traitement efficace et pas cher. Et l’histoire du vaccin, à tester en Afrique a révélé aux Africains jusqu’à quel point, dans l’équilibre géopolitique actuel, ils ne représentent qu’une source de profits divers.

Finalement le COVID-19 a comme progressivement enlevé les voiles qui couvraient les ressorts cachés de la vie sociopolitique du monde, les mobiles profonds de beaucoup d’acteurs de ce monde : on assiste, en quelque sorte à un dé-voilement.

Le cas du Togo est très parlant à cet égard. En effet, la gestion de la pandémie a révélé les insuffisances de notre système de santé et même de toute l’administration publique. C’est ainsi qu’on a assisté depuis la mi-mars à une série de décisions dont l’improvisation est patente :
• transformation sans aucune préparation du Centre Hospitalier Régional de KEGUE en centre de traitement alors que ce centre hospitalier n’avait même pas l’eau courante dans ses locaux d’hospitalisation ;

• en même temps que les écoles primaires (au milieu des compositions) et secondaires, fermeture de l’université où quelques jours auparavant on avait pourtant laissé les étudiants composer dans des amphithéâtres où ils étaient plusieurs centaines ensemble ;

• couvre-feu du jour au lendemain sans dire aux citoyens comment faire en cas d’urgence ;

• suppression du principal moyen de déplacement et du même coup du gagne-pain de beaucoup de citoyens sans leur laisser d’alternatives, puis retour sur cette décision ;

• initiative NOVISSI qui a donné lieu à beaucoup de malversations alors que beaucoup attendent encore d’en bénéficier…

Toutes ces mesures ont dé-voilé, mis à nu, un style de gouvernance qui demeurait en partie caché grâce à la non-transparence de l’information sur la gestion gouvernementale : négligence des aspects sociaux comme la santé publique, effets d’annonce sans réalisations concrètes mais aussi, gestion calamiteuse de membres de l’administration prêts à tout, surtout à manier la langue de bois, pour protéger leurs privilèges… A cause de tout cela, jusqu’à présent, on se demande si le Gouvernement a un véritable plan d’action pour affronter une telle épidémie. Et s’il y a un plan d’action avec des stratégies précises pourquoi ne sont-ils pas rendus publics et accessibles à tous ? Pourquoi cette culture du secret dans notre mode d’être et de gouverner ?

Il se trouve qu’en face du Gouvernement, la force de la critique n’est pas grande : la classe politique est engluée dans la gestion d’une crise (le mot revient) postélectorale qui dure depuis plus de six semaines et dont on ne voit pas le bout…

Mais aussi le Gouvernement a en face de lui, une société civile qui a du mal à se faire entendre parce qu’elle ne constitue pas encore une opinion publique forte et donc une réelle force de pression : des années d’étouffement des libertés publiques (avec notamment une presse qu’on continue à tourmenter) en sont la cause, et également une classe d’intellectuels qui n’osent pas jouer pleinement son rôle d’éclaireur pour être une force incontournable dans les prises de décisions politiques, économiques, sanitaires, sociales, éducatives etc… Est-ce possible de continuer ainsi ?

Les citoyens sont donc livrés à eux-mêmes, non seulement pour la prise en charge de la maladie mais pour s’en sortir au quotidien : on découvre avec stupeur qu’à l’ordinaire déjà 14% des ménages manquent de nourriture pendant deux jours sur sept ; ce qui fait que s’il fallait adopter la mesure du confinement total, pratiquée dans les pays occidentaux, presque la moitié de la population togolaise, soit 46% des ménages, vont commencer à avoir faim dès le septième jour.

Il ne s’agit plus de pauvreté mais de misère, que le COVID-19 a ainsi totalement dé-voilé ! Et à part NOVISSI et ses difficultés, quelles sont les véritables mesures d’accompagnement prévues pour y faire face ? Pour l’heure on attend toujours…

Allons-nous en rester là ? Cela dépend de nous.

En effet, une crise n’a pas que des aspects négatifs. Si nous prenons l’exemple de la vie humaine, l’existence d’un enfant est rythmée par des crises indispensables pour sa croissance. Ainsi vers l’âge de 3 ans, l’enfant est rétif disant non à beaucoup d’injonctions des parents ; c’est pénible pour les éducateurs, mais cela lui permet de se poser en tant que personne jouissant déjà d’une certaine autonomie loin du cercle familial. Il va pouvoir quitter ce cercle familial pour être par exemple scolarisé. De la même façon à l’adolescence, le jeune s’oppose aux adultes, c’est difficile pour ces derniers, mais au sortir de cette période la personne peut choisir ses propres valeurs et y conformer sa vie, bref devenir un adulte.

La crise est donc un élément indispensable pour toute croissance. Mais pour cela il faut accepter de prendre en compte les résultats du dé-voilement pour se connaître individuellement et collectivement, prendre conscience de soi dans ses insuffisances et ses dysfonctionnements. Cet examen lucide de nous-mêmes, de nos choix, et la reconnaissance de nos erreurs et dysfonctionnements, nous permettront alors de nous projeter, de choisir, en adultes, la société dans laquelle nous voulons désormais vivre. Cela demandera certainement des renoncements, des remises en cause, des changements de vie, des bouleversements sociaux et institutionnels qui peuvent se révéler fondamentaux pour les personnes et pour tout le pays… Mais c’est cela où régresser. Mettons à profit cette période de dé-voilement pour progresser.

Il y a le COVID-19 au plan sanitaire auquel il faut trouver une solution mais depuis 2017 n’y a-t-il pas aussi, de façon analogique un COVID-17 c’est-à-dire une crise politique réelle dans notre pays qui paralyse tout, qui est plus grave et attend des décisions vraies car on aura posé les vrais problèmes sur les institutions et leur fonctionnement ?

Pour mettre le dé-voilement à profit, il y a des attitudes à abandonner : à ce propos, nous ne pouvons pas nous empêcher de faire référence au Pape François qui dit que cette crise ne doit pas être l’occasion de l’indifférence, de l’égoïsme, des divisions, de l’oubli (Bénédiction Urbi et Orbi, 12 avril 2020).


Par Maryse QUASHIE et Roger E. FOLIKOUE