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Interview exclusive de Nakpa Polo: "Dénoncer pour dénoncer n’est pas une fin en soi, c’est mettre fin à la violation qui est la finalité"

Togo - Societe
La Présidente de la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) se prononce dans cette interview exclusive sur le couvre-feu et la force spéciale mixte anti-pandémie au centre de certaines critiques. Dans cet entretien, Madame Nakpa Polo explique ce que l’institution qu’elle préside fait en cette période sensible et délicate.
Quelle est la position de la CNDH par rapport à l’état d’urgence sanitaire et au couvre-feu, deux mesures qui sont de nature à restreindre la jouissance des droits des populations ?

Je vous remercie de me donner l’opportunité de m’adresser aux populations en cette période de crise sanitaire marquée par la pandémie du Covid-19.

Effectivement, le monde entier est secoué par la maladie à coronavirus. Aussi bien les pays riches que les pays pauvres sont tous frappés par cette maladie. Le Togo, notre pays n’est pas épargné. Le gouvernement a annoncé le premier cas le 06 mars dernier. A ce jour du (le jeudi 30 avril 2020, NDLR) on a au total 116 cas confirmés dont 42 cas actifs, 65 cas guéris et 09 décès.

C’est une situation inédite qui inquiète tout le monde, aussi bien les populations que les autorités, et particulièrement la CNDH, d’autant plus qu’il s’agit d’une question de santé publique qui fait beaucoup de ravages.

Revenant sur votre question, je voudrais rappeler que l’état d’urgence est une mesure d’exception que l’exécutif prend pour protéger la sécurité nationale, l’ordre public et la santé publique (article 14 de la Constitution). L’état d’urgence a pour particularité de donner des pouvoirs supplémentaires aux autorités administratives et de restreindre les libertés individuelles et collectives.

La CNDH salue l’ensemble de ces mesures. Bien qu’elles restreignent les droits et libertés des populations, ces mesures sont justifiées par la gravité de la situation sanitaire. Mais, je rappelle que ces mesures sont temporaires.

Depuis le début de l’état d’urgence, des allégations de violation des droits de l’homme ont été recensées et qui seraient attribuées à des agents de la force spéciale mixte anti-pandémie Covid-19.

Pourquoi la CNDH n’a-t-elle pas dénoncé de tels agissements ?

Conformément à l’article 5 point 2, « la CNDH intervient auprès de l’administration publique pour faire cesser les violations et faire procéder à des réparations ». Dénoncer pour dénoncer n’est pas une fin en soi. C’est mettre fin à la violation qui est la finalité.

La CNDH ne dénonce qu’après épuisement de toutes les voies de recours, tel que souligné dans les articles 40 et 41 de la loi organique.

La CNDH n’a donc pas croisé les bras. Elle a mis en place un observatoire tel que annoncé dans son communiqué en date du 02 avril 2020. Cet observatoire est chargé de répertorier toutes les allégations de violations des droits de l’homme en lien avec la gestion de l’état d’urgence sanitaire afin de faire des recommandations à l’Etat pour une meilleure protection des droits de l’homme en cette période d’exception.

Les antennes régionales de la CNDH qui sont les points focaux, sont aussi mises à contribution. Elles doivent recenser et transmettre sans délai à l’observatoire les allégations de violation des droits de l’homme collectées durant cette période.

La Commission met aussi à contribution certaines organisations de défense des droits de l’homme (ODDH) pour un partage d’informations dans la mise en œuvre de ce mécanisme. C’est l’occasion pour moi de remercier ces ODDH pour leur adhésion à cette initiative et leur collaboration.

Par rapport aux allégations de violation des droits de l’homme dont vous avez fait allusion, la CNDH les a apprises à travers les réseaux sociaux et elle a été aussi saisie par les organisations de défense des droits de l’homme (ODDH). Aussitôt, l’observatoire a entrepris des investigations.

A la date du 30 avril 2020, neuf (09) cas d’allégations de violation des droits de l’homme imputés à la force spéciale mixte anti-pandémie COVID-19 ont été enregistrés, sur lesquels l’observatoire a fait des interventions :

- l’affaire dame DRAFOE Nyanuwoede à Dévikème dans la préfecture des Lacs : l’équipe de l’observatoire s’est rendue sur place le 15 avril 2020, a auditionné la victime et l’adjoint au commissaire de Gbodjomé ;

- l’affaire du décès de GUELI Kodjosseh à Avédji Limousine : l’équipe de l’observatoire a rencontré le commissaire de Djidjolé, le 16 avril 2020, ensemble avec des membres de la famille et a eu des échanges téléphoniques avec le sapeur pompier ayant transporté la victime au CHU Sylvanus Olympio ;

- l’affaire Dodji KOUTWATI à Adakpamé à Lomé qui serait décédé des suites des coups et blessures administrés par des éléments de la force spéciale mixte anti-pandémie Covid-19. L’équipe s’est déplacée à Adakpamé où elle a rencontré, le 23 avril 2020, l’adjoint au commandant de brigade de la gendarmerie d’Adakpamé et le chef quartier. Compte tenu de la tension, elle n’a pas pu rencontrer la famille de la victime.

- l’affaire Boukpessi Essowè à Davié. L’intéressé a été auditionné, le 17 avril 2020 par téléphone;

- l’affaire du journaliste TIASSOU Akoété alias Michel AKOETE à Nukafu : audition de la victime par téléphone le 21 avril 2020, suivie d’une visite à son domicile, le 23 avril 2020 ;

- l’affaire de la femme enceinte d’Avépozo qui serait décédée des suites des coups administrés par des éléments de la force spéciale anti-Covid-19 : l’équipe de l’observatoire n’a pas pu obtenir des informations sur l’identité de la présumée victime ni celles concernant sa famille ;

- l’affaire de la jeune fille violée à Aného : l’équipe de l’observatoire a eu un échange téléphonique avec le Procureur de la République près le tribunal d’Aného, le 20 avril 2020 qui a déclaré n’avoir reçu aucune information ni plainte dans ce sens ;

- l’affaire de la manifestation des conducteurs de taxi-moto à Atapkamé concernant la saisie des motos : audition, le 20 avril 2020 du directeur régional de la police et commandant régional de la force anti-pandémie, ainsi que le secrétaire général de la mairie Ogou 1 ;

- affaire du jeune gravement blessé à l’œil à Djidjolé (côté maison ADEBAYOR) : l’équipe de la CNDH n’a pas pu entrer en contact avec la victime.

En résumé, l’observatoire a procédé à des auditions, et a rencontré les personnes concernées ou leurs familles, ainsi que certaines autorités sécuritaires, notamment le commandant de la force spéciale mixte anti-pandémie Covid-19, le vendredi 17 avril 2020. La CNDH avait déjà saisi le Ministre de la sécurité le jeudi 16 avril 2020 pour le cas de Dévikèmé afin que les mesures idoines soient prises pour identifier et sanctionner les auteurs conformément à la loi et que la victime soit prise en charge.

Un message pour conclure cet entretien...

La Commission rassure la population qu’elle a pris à cœur la protection des droits de l’homme pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire. La CNDH se félicite du dernier communiqué du gouvernement sur l’ouverture systématique par le ministre de la Justice d’une enquête sur les cas de violations.

La Commission, tout en déplorant les allégations de violations des droits de l’homme, exhorte le ministre de la Justice à mener jusqu’au bout les enquêtes annoncées afin de situer les responsabilités et sanctionner les auteurs de telles violations conformément aux lois en vigueur.

Elle présente ses condoléances aux familles éplorées et souhaite un prompt rétablissement aux blessés. La CNDH invite la force spéciale mixte anti-pandémie Covid-19 à poursuivre sa mission avec professionnalisme et à éviter de recourir à la violence.

A l’endroit de la population, la CNDH voudrait l’inviter au strict respect des mesures barrières prises par le gouvernement pour limiter la propagation du virus et à se conformer aux exigences de l’état d’urgence sanitaire, en particulier le couvre feu. Elle invite la population à porter à sa connaissance tous les cas de violence et de violation des droits.

Pour finir, je voudrais vous remercier pour avoir permis à la CNDH d’expliquer à la population les actions qu’elle mène en cette période sensible marquée par la pandémie du Covid-19.

Merci beaucoup, Madame le Président de la CNDH !

C’est moi qui vous remercie !

A.H.