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La Force de la Loi dans l’Etat de droit

Togo - Politique
«La République togolaise est un État de droit, laïc, démocratique et social. Elle est une et indivisible.»
Voici les termes de l’article premier de la Constitution togolaise. Est-ce que ces mots expriment réellement ce qui est ou bien sont-ils l’expression d’une velléité consignée sur un support papier pour se donner une bonne conscience ? Ou encore sont-ils l’expression issue de la légitime aspiration d’un peuple qui a connu durant des décennies l’arbitraire, les abus de pouvoir et le mal-être dans un régime à parti unique ; un peuple qui, depuis plus de trente ans, veut vivre dans un autre type d’Etat dont la réalité tarde à venir ? Et pourtant l’article qui renseigne sur la nature de notre pays affirme, sans condition, que la République togolaise est un Etat de droit, démocratique...

Analysons les deux adjectifs qui qualifient l’Etat togolais selon notre Constitution. Sans faire un cours sur l’Etat de droit retenons tout simplement la définition du juriste Bruno Oppétit selon laquelle « l’Etat de droit se définit par le droit au droit et le droit au juge ». Avoir droit au droit signifie fondamentalement avoir droit aux droits posés et reconnus à la nature humaine. Et ces droits sont consignés dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, qui, dans son préambule, déclare qu’il faut un Etat de droit pour garantir ces droits.

Et un citoyen a droit à ces droits quand son Etat, par le processus de la ratification, intègre ces droits à son ordonnancement juridique. Le Togo a ratifié les droits de l’Homme ; il dispose des institutions d’un Etat de droit et pourtant on serait tenté de dire qu’il s’agit d’un simple habillage juridique ou d’un pur formalisme car la situation réelle est tout autre. Sinon qu’est ce qui justifierait tant de violations des droits de l’Homme dans notre pays ? Pourquoi tant de restrictions des libertés fondamentales ? Pourquoi tant de crimes, d’assassinats sans sanctions ? Pourquoi l’impunité serait-elle devenue une règle non officielle et pourtant appliquée comme règle de gouvernance ?

Les dernières exactions durant le temps du couvre-feu au cours de cette crise sanitaire exposent tout ce qui est fait depuis des années en matière du non-respect des droits des individus. Et quand même les rapports de l’O.N.U parlent de lois liberticides, les violations continuent sous prétexte que le Togo est un Etat souverain. La grandeur de notre souveraineté résiderait-elle dans la capacité de violer les droits humains ?

L’Etat n’existe que parce que des hommes existent et son rôle est de préserver la vie des individus. Et quand cet Etat tue lui-même ses membres, viole leurs droits est-il encore même un Etat ou devient il simplement le montre évoqué par Friedrich Nietzche ?

Un Etat peut-il est déclaré Etat de droit quand il ne respecte pas les droits humains et quand la vie des autres est devenue un objet sans valeur dont l’autorité dispose comme elle veut ? Un Etat est-il un Etat de droit quand le pouvoir ne respecte plus aucune règle de l’institutionnalisation du pouvoir sauf celles de ses propres convenances ? Un Etat peut-il s’attribuer le qualificatif d’Etat de droit quand l’arbitraire se déguise en règle juridique ? Un Etat peut-il oser porter le nom d’Etat de droit quand la Justice ne joue plus son rôle ?

« Avoir droit au droit » c’est que l’Etat reconnaisse qu’il existe des droits dont il n’est pas l’auteur et ces droits sont naturels, inaliénables, imprescriptibles et donc non négociables ; ce sont des droits intrinsèquement liés à chaque Homme et ils doivent être respectés par l’exécutif, soutenus et votés par le législatif et surtout protégés et défendus par le judiciaire. Car la Justice est l’institution qui nous permet de tenir ensemble dans un Etat. Elle est chargée de veiller au respect des droits essentiels et aux libertés fondamentales de tout être humain.

Si tel est le cas peut-on parler d’Etat de droit quand on a des éléments qui indiquent que la justice ne joue plus son rôle ? Quand les citoyens ne peuvent plus avoir droit au juge et être sûrs qu’il dira le droit, le juste, où est l’Etat de droit ? Des droits, des lois, la Justice existent même dans un Etat totalitaire. L’existence de droit, de loi, et de la justice ne suffisent pas pour parler d’un Etat de droit. Car on sait qu’il existe des lois injustes. La légalité n’est pas, par conséquent, le critère suffisant d’un Etat de droit sinon tout Etat qui existe serait un Etat de droit. L’Etat de droit se distingue essentiellement comme un Etat qui protège les droits individuels.

L’article premier de notre Constitution dit aussi que le Togo est un Etat démocratique. Est-ce le cas ? Il ne s’agit pas de partir de la notion de démocratie mais analysons ensemble, au contraire et de façon objective, certains faits qui sont récents.

Dans une démocratie, la souveraineté appartient au peuple qui le délègue à ses représentants à travers des élections. Et ces représentants jouissent d’une légitimité dans l’exercice du pouvoir. Peuton dire que dans notre pays les élections sont justes, crédibles et transparentes ? D’abord l’institution chargée de les organiser n’a jamais été une institution crédible car elle n’a jamais été reconnue par toutes les parties en présence et par les citoyens. On a retiré l’organisation des élections au ministère de l’intérieur dans nos pays en Afrique pour les confier à une Institution qu’on pensait être juste et indépendante mais elle n’a jamais pu jouer son rôle dans la transparence et dans la justice. Sa composition, son fonctionnement, son autonomie sont toujours problématiques. Et pourtant, cette institution s’arroge toujours le droit d’organiser des élections en se référant à la Loi. Une institution qui, à sa naissance, est problématique peut-elle dire après le juste et le droit, surtout celui de respecter la libre expression des citoyens en donnant les résultats issus des élections sans contestations ? Si la transparence était réellement voulue et affichée comme une exigence d’Etat pourquoi avoir toujours refusé les réformes nécessaires pour des compétitions électorales ? Et pourtant ces réformes sont sollicitées par les organisations de la société civile, les Eglises, les partis politiques.

Et nous voilà encore dans une crise, qui plongeant ses racines dans l’inacceptable évènement de 2005, a connu encore une nouvelle phase en cette année 2020. Le 22 février encore une fois de plus une parodie d’élection soldée par une contestation. Ce ne sont pas les contestations qui posent problème mais la résolution des conflits que soulèvent les élections dans lesquelles le peuple ne se reconnait jamais et est bâillonné. La démocratie n’est-ce pas la reconnaissance d’un pouvoir comme légal et surtout légitime ? Une démocratie dont les institutions ne jouent pas leur rôle, et dans laquelle les individus ne peuvent pas choisir librement leurs représentants, est-elle encore une démocratie ?

Le problématique processus électoral dans notre pays a connu son apogée le dimanche 3 mai par la cérémonie de prestation de serment qui a été remarquable non pas par la prestation de serment mais par le discours du président de la Cour Constitutionnelle.

L’universitaire juriste N’Sinto LAWSON a su résumer tout le problème de cette cérémonie et de cette institution, jugée dès sa naissance illégale par des citoyens et des OSC : « Au détour d’une prestation de serment du Président de la République, la question de l’indépendance et de l’impartialité du juge a refait surface. L’indépendance et l’impartialité du juge…n’ont de sens que si elles sont pensées comme un élément déterminant et décisif parmi les fondements mêmes de la République. En appréhendant le concept d’indépendance non comme un privilège du juge, mais un droit des citoyens, on ouvre alors un champ de réflexion tout à fait actuel dans tous les Etats africains. »

L’indépendance et l’impartialité du juge constitutionnel voilà un point fondamental dans l’Etat de droit démocratique qui reconnaît la Force et la Supériorité de la Loi qui fonde, à la fois, la légalité et l’égalité des citoyens. La Loi joue-t-elle vraiment ce rôle dans notre pays ? Si la réponse était positive, il n’y aurait pas eu les évènements de 2005 et toutes les violations des droits de l’homme qui continuent jusqu’à présent. Si La Loi jouait réellement son rôle la Cour Constitutionnelle elle-même ne serait pas remise en question car elle serait régulière et conforme à La Loi Fondamentale.

Avec la notion de la supériorité de la Loi comment comprendre et surtout interpréter ces mots du juge constitutionnel le jour de la prestation du serment du Président de la République : « La loi est égale pour tous, on ne peut pas se cacher derrière son âge pour défier l’autorité de la loi, son auteur doit répondre de son acte devant la justice».

Si on ne peut pas se poster derrière son âge, peut-on se prévaloir de sa fonction, de son statut pour violer la Loi ? Cette menace serait-elle prophétique car elle concernerait tous ceux qui auront violé la Loi et qui seront rattrapés par cette même Loi à cause de son caractère de supériorité ? N’est-ce pas là aussi la Force de la Loi qui est différente de la loi de force dans un Etat de droit ?

Par Maryse QUASHIE et Roger E. FOLIKOUE