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Togo - Interview/Nathaniel Olympio: « Chaque jour qui passe peut être une opportunité pour le changement… »

Togo -
Présidentielle du 22 février 2020, alternance, gestion de la crise sanitaire, tueries des Togolais…Nathaniel Olympio aborde ces questions, dans cet entretien accordé à Liberté. Le Président du Parti des Togolais, malgré tout, croit toujours à l’alternance (ou plutôt au changement). « Les partis politiques, la société civile et tous les groupes organisés qui aspirent au changement doivent travailler dans une démarche d’ensemble avec le concours de chaque Togolaise et Togolais », estime-t-il.
L’élection présidentielle du 22 février 2020, un rendez-vous raté de plus pour l’alternance au Togo ?

Nathaniel Olympio : Permettez-moi de profiter de cette tribune pour présenter mes plus sincères condoléances à la famille de Me Yaovi Agboyibor. Pour les Togolais de ma génération, Me Agboyibor, c'est d'abord le premier président de la Commission Nationale des Droits de l'Homme (CNDH). C'est aussi la personnalité qui a dirigé le Front des Associations pour le Renouveau (FAR) dont les luttes dans les années 1990 ont abouti à la conférence nationale.

La première fois que je l'ai rencontré, c'était en 2014 lors d’une visite de courtoisie faite avec Alberto Olympio, puis en 2017 dans le cadre d'une réunion du Groupe des Six avec son parti, le Comité d’Action pour le Renouveau (CAR). Mais l'image forte que je garde de lui est liée à la première manifestation pacifique organisée par la coalition C14 le 6 septembre 2017. Il tenait absolument à faire tout le parcours de la marche, du point de départ au point de chute. Et c'est ce qu'il a fait, malgré son âge, malgré son état de santé, avec une obstination assumée qui force le respect. Que la terre lui soit légère !
Pour revenir à votre question, je crois que le peuple togolais, sur le plan politique, recherche avant tout les trois piliers fondamentaux d’un vivre-ensemble harmonieux : la liberté, l’Etat de droit et la démocratie.

En dehors du régime qui dépense des fortunes pour polir son image à l’extérieur, en arborant piètrement un pseudo costume de démocratie afin de masquer ses aspérités, tout le monde reconnait le caractère autoritaire du régime, comme le souligne le classement fait en 2019 par The Economist Group. Peut-on raisonnablement et sincèrement penser qu’une élection organisée à huis clos par un régime autoritaire puisse conduire à l’instauration de la démocratie ? Je suis résolument convaincu que non. Pour ma part, il n’y avait même pas matière à rendez-vous pour un changement le 22 février 2020.

En revanche, je reste persuadé que chaque jour qui passe peut être une opportunité pour le changement, pour peu que l’on y soit préparé convenablement et qu’on l’exploite efficacement. Ces opportunités ne manquent pas dans une dictature.

Faure Gnassingbé a été proclamé vainqueur, mais Agbéyomé Kodjo crie au vol de sa victoire. Qui a vraiment gagné le scrutin, selon vous ?

Avant le scrutin, j’ai qualifié cette élection d’illégale parce que la Cour constitutionnelle qui autorise les candidatures et valide les résultats n’a été installée qu’avec sept (7) membres au lieu des neuf (9) que stipule la Constitution. Les résultats issus de cette élection n’ont donc aucune valeur juridique à mes yeux.

Toutefois, je constate qu’une majorité des électeurs ayant participé à cette élection affirme que c’est Agbéyomé Kodjo qui a remporté cette bataille dans les urnes. Et je n’en suis pas surpris. Tordre le coup à la vérité des urnes est une pratique bien rodée du régime togolais qui n’a jamais véritablement gagné une élection à mon sens. Le pouvoir togolais a toujours usurpé la victoire en proclamant « sa » victoire et en refusant d’en donner la preuve par la proclamation bureau de vote par bureau de vote.

La Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) et la Cour constitutionnelle, les deux institutions respectivement en charge de l’organisation de l’élection et de la validation des résultats sont des caisses de résonnance du parti au pouvoir. Le président de l’institution de validation vient magistralement de le démontrer par ses éloges indécents au Chef de l’Etat sortant, lors de la cérémonie de prestation de serment le 3 mai dernier. Avait-il vraiment besoin d’en faire autant ?

Agbéyomé Kodjo est finalement bâillonné par la justice et interdit de s’exprimer au sujet des résultats. Comment appréciez-vous cette issue ?

Qui mieux qu’un magistrat, professionnel du droit, peut exprimer ce dysfonctionnement de l’institution judiciaire par sa dépendance à l’Exécutif ? C’est ce que le substitut du procureur Monsieur Henry Dogo a démontré méthodiquement et sans aucune animosité. Je le félicite et j’encourage d’autres professionnels du droit, magistrats et avocats particulièrement, à faire de même en prenant la parole, ne fut-ce que sur le plan de l’éthique.

Je trouve que les magistrats ont franchi une frontière de trop en prenant des décisions à caractère purement politique, sortant ainsi de leur rôle et se mettant en assujettissement à l’Exécutif, au mépris de la Constitution. Interdire à des chefs de parti de s’exprimer sur les résultats d’une élection, c’est les empêcher de faire de la politique. C’est un précédent dangereux. Cela revient, ni plus ni moins, à porter un coup de grâce à l’Etat de droit et la démocratie auxquels aspire le peuple.

Le Parti des Togolais n’a pas participé au scrutin. Peut-on dire que les faits vous donnent raison ?

Pour l’heure, l’engagement du Parti des Togolais, c’est de se battre pour les principes et les valeurs de liberté, d’Etat de droit et de démocratie qui nous donneront le socle de la cohésion nationale pour un vivre-ensemble paisible et harmonieux. Il n’y a pas de challenge à avoir raison. Il s’agit de faire les bonnes analyses, dans la lucidité et la sincérité, dans le but de concevoir de manière systémique l’approche méthodologique et organisationnelle la plus pertinente, afin que la lutte soit efficace et produise les résultats attendus.

Le Parti des Togolais est cohérent dans sa posture depuis l’élection de 2015 quand Alberto Olympio a mis à nue la grosse arnaque du fichier électoral. Depuis 1993, après sept (7) élections présidentielles ayant déroulé exactement le même schéma au détriment du peuple, j’ose croire que tous les partis politiques ont enfin compris que dans les conditions actuelles, le changement ne peut pas s’opérer dans les urnes sans passer par une phase de transition qui permettra la reconstruction des fondamentaux de la démocratie.

Comment entrevoyez-vous le 4ième mandat de Faure Gnassingbé et l’opposition en termes d’actions jusqu’en 2025 ?

Le déroulement des trois (3) derniers mandats de Faure Gnassingbé n’augure rien de bon pour le quatrième. Tant que la conception du pouvoir sera la même, les mêmes causes produiront les mêmes effets. Pour l’opposition, il faudra réorienter la lutte. Et nul besoin d’attendre jusqu’en 2025 pour voir des changements s’opérer, si les choses sont menées comme il se doit.

Y a-t-il encore une chance que l’alternance survienne un jour au Togo ?

Je voudrais d’abord relever que de mon point de vue, on ne peut parler d’alternance que dans un environnement démocratique. Ce n’est pas le cas au Togo. Je parle donc de besoin de changement. Un terme qui sous-entend une démarche inclusive, qui ne s’opère donc contre personne mais au bénéfice de tous les citoyens. Nous devons ensemble transformer le Togo. Ce changement est bien entendu possible si nous réunissons les bonnes conditions. Il s’agit dans un premier temps d’aboutir à ce que les partis politiques comprennent le fait que, pour le moment, il ne s’agit pas de convoiter des fonctions électives, mais d’œuvrer pour instaurer la liberté, l’Etat de droit et la démocratie.

Il faut aussi intégrer que la manière la plus adaptée pour aller au changement c’est de provoquer et d’établir une transition. Pour ce faire, la lutte doit être conçue dans une démarche citoyenne qui met dans une approche globale toutes les forces vives du pays. Les partis politiques, la société civile et tous les groupes organisés qui aspirent au changement doivent travailler dans une démarche d’ensemble avec le concours de chaque Togolaise et Togolais. Cette démarche doit s’appuyer sur une vision commune, un bon projet politique, une bonne organisation, une bonne méthodologie et de la rigueur, et pour chapeauter le tout, un leadership volontariste dépourvu d’objectifs partisans.

L’actualité, c’est aussi le Corona Virus. Comment appréciez-vous la gestion faite par le gouvernement ?

Le gouvernement a pris en main cette crise sanitaire dans un délai raisonnable. La gestion a connu bon nombre d’à-coups et de dérives. C’est particulièrement le cas de la brutalité exercée sur la population par la force spéciale COVID-19 en charge de faire respecter le couvre-feu. On a dénombré de nombreux cas de traitements dégradants et inhumains sur des citoyens, causant de graves blessures et des décès. On peut d’ailleurs s’interroger sérieusement sur la pertinence d’une telle mesure nocturne, qui ne s’accompagne pas de mesures appropriées en période diurne.

Cette mesure a coupé les ailes à toute l’économie de la nuit, sans aucune mesure financière d’accompagnement spécifique à cette catégorie. La gestion des ressources allouées à la population en grande précarité financière a imposé la présentation de carte d’électeur pour en être bénéficiaire. C’est une exploitation politique hideuse de la détresse humaine. Les fonds de 400 milliards annoncés par le chef de l’Etat pour faire face aux conséquences de cette crise se cachent dans une opacité, pour le coup, plus que douteuse.

Par ailleurs, cette pandémie a mis en lumière, plus que d’habitude, la fragilité de notre système de santé et notre défaut criard de fournitures et d’équipements médicaux. Ce que le corps médical dénonce depuis de nombreuses années. Il y a beaucoup d’efforts à faire pour doter le Togo d’un système de santé soutenu par une véritable politique de santé publique.

Quelles sont vos propositions pour une meilleure gestion ?

La lutte contre cette crise sanitaire doit se départir de toute considération politique. Comme dans les autres pays de la sous-région, il aurait été souhaitable que le régime togolais s’appuie sur toutes les ressources humaines du Togo, qu’elles soient du parti au pouvoir, de l’opposition politique ou de la société civile. D’ailleurs, le gouffre entre la population et les gouvernants est tel qu’au début les Togolais ne croyaient pas au propos du gouvernement quant à l’apparition du virus au Togo.

Mobiliser toutes les forces vives aurait donné plus de portée à la riposte. Il est encore temps de corriger. La communication devrait être renforcée. L’accompagnement financier des entreprises du secteur formel et informel doit se faire dans une plus grande transparence. Les personnels de première ligne, notamment le secteur médical, les forces de sécurité et de défense ainsi que ceux en charge de la gestion de la salubrité, doivent jouir d’une reconnaissance de l’Etat, d’une indemnité financière couplée à des incitations non financières.

S’il y a un enseignement que l’on doit tirer de cette pandémie, c’est la nécessité d’un nouvel ordre national qui relancerait les machines politiques, économiques et sociales pour que le Togo et les Togolais puissent être en position de mieux tirer parti des effets du nouvel ordre mondial que beaucoup de voix réclament.

Beaucoup de tueries ces derniers temps. Une réaction par rapport à ça ?

Le Togo a atteint un niveau de banalisation de la violence d’Etat sur les citoyens qui dépasse l’entendement. On assiste à trop de résolutions de différends par le meurtre. Le phénomène s’accentue. Les dernières tragédies ont particulièrement ébranlé la quiétude des Togolaises et des Togolais, depuis les victimes de la force spéciale du COVID-19 jusqu’à l’assassinat d’un lieutenant-colonel dans son bureau au sein d’une caserne et le meurtre d’un jeune en pleine journée sans aucune raison valable.

La responsabilité politique du gouvernement, en particulier celle du ministre de la Sécurité et de la Protection civile et celle du ministre de la Défense et des anciens combattants, est clairement engagée. Jusque-là, les Togolais n’ont perçu aucun signe annonciateur de la fin de ces violences excessives.


Un mot à l’endroit de vos militants et du peuple assoiffé d’alternance ?

Ce que vit notre peuple n’est de toute façon ni acceptable ni tenable. Tous les enfants de cette Nation n’ont donc d’autre choix, en réalité, que celui de continuer la lutte pour obtenir ce qui leur revient de droit. Ce n’est qu’en rassemblant nos forces, nos capacités, nos compétences – et ce de façon honnête et affranchie de toutes les velléités partisanes – que nous vaincrons comme je le disais précédemment.

A moins de prendre le risque de perdre encore de nombreuses vies précieuses – ce qu’il faut éviter – la lutte, pour aboutir, doit se concevoir et s’organiser différemment.

C’est pourquoi, je lance un vibrant appel, à tout un chacun, à se mobiliser et à s’engager, d’une manière ou d’une autre, avec les forces démocratiques – opposition et société civile – pour mener une lutte citoyenne. Le temps n’est ni au découragement ni au blâme de l’autre. La lutte pour la liberté est toujours faite d’à-coups et de trébuchements qui sont de douloureuses expériences précédant la victoire.

Il est temps de redoubler d’ardeur et de croire avec nous à un Togo nouveau où le vivre-ensemble harmonieux devient une caractéristique remarquable. Gamesu !

Interview réalisée par Tino Kossi

Source: Liberté N°3158