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Togo - Hommage/Awudi Kodjo à Me Agboyibo : 'Tu as laissé une bonne méthode politique qui nous inspire'

Togo - Societe
Il a été viré du Comité d'action pour le renouveau (CAR), il y a quelques mois seulement. Raison, il a refusé de quitter la Commission électorale nationale indépendante (CENI) lorsque son parti qui l'a envoyé siéger dans cette institution, le lui avait ordonné. Awudi Kodjo, puisque c'est de lui qu'il s'agit, malgré ce différend avec le parti, a voulu faire revivre les années passées aux côtés de son mentor, le président du CAR Me Apollinaire Yawovi Madji Agboyibo (décédé le 30 mai dernier à Paris), aux Togolais à travers cet hommage.
Témoignage du juriste-politologue AWUDI Kodzo à Maître AGBOYIBO.

Hummm, ô !!! Maître AGBOYIBO, quelle dure tâche pour moi de parler de toi et de notre amitié de longue date après ton décès ! Toi le père de l’avènement du processus démocratique et du respect des droits humains au Togo, toi le grand maître politique ; que puis-je dire sur notre parcours sans me fondre en larmes ?

Maître, notre première rencontre était à l’hôtel Cristal à Kpalimé :

Je me rappelle encore de cette première phrase venant de toi : -C’est toi le maigrichon - là qui fait secouer tout un lycée de la classe de sixième en terminale (lycée de Kpélé-Elé) deux semaines durant ?

-Oui, oui, monsieur.

-assieds-toi et mets-toi à l’aise, me recommanda-t-il car j’étais trop ému et il a dû le remarquer.

-merci monsieur.

- Comment t’appelles-tu concrètement ? Puisque d’après mes renseignements, tes admirateurs te nomment la « force tranquille »

-Je m’appelle AWUDI Kodzo Agbenyega

- Quelle classe fais-tu ?

- je suis en classe de première, série A4

-Donc tu aimes la lecture ?

-Oui monsieur.

Quel roman lis-tu présentement ou que tu as lu dans ces jours-ci ?

Madame Bovary (Ema Bovary) et le bovarysme de Jules GAUTIER basé sur la féminité catastrophique ou encore une problématisation des rapports entre fiction et réalité.

Ha ! c’est bien que tu te donnes à la lecture ; cela te fera du bien, tu verras.

Merci beaucoup monsieur.

Alors dis-moi ; qu’est-ce qui vous fait grèver pendant deux semaines ?

Monsieur, nous luttons contre la bastonnade exercée sur nos camarades et nous proposons au corps enseignant de trouver d’autres moyens de punition.

Je vois ; bon ! bon ! disait-il en mordant à petit coup, entre le pouce et l’index de sa main ; je n’ai pas assez de temps. Attends ! Sur quel numéro puis-je te joindre ?

S’il vous plaît, je … je n’ai pas de cellulaire mais je peux vous donner un numéro d’une cabine téléphonique proche de ma maison.

Ok donne-le-moi et si j’appelle, je demande qui ?

Vous demandez d’après Foyovo, la force tranquille.

Pourquoi te surnomme-t-on ainsi ?

C’est parce que je parle moins souvent dans des situations difficiles ; mais je pose plutôt beaucoup d’actes concrets pour le bien de nous tous.

Ok ! nous avons quelque chose en commun alors. Tu dois faire tout pour te mettre en poche ton BACII et à ton arrivée à Lomé, cherche à me voir. D’accord ?

Nos discussions allaient finir ainsi. Mais lorsqu’il me raccompagnait pour partir et que nous sommes arrivés sur le balcon, il me disait ce qui suit :

-Je sens que tu es très déterminé dans ce que tu fais. Et il s’approche de plus près de moi en posant une main sur mon épaule gauche (J’avoue qu’en ce moment précis, j’écoutais moi-même le battement de mon cœur) et me posa la question suivante : jusqu’où comptes-tu aller avec ton mouvement ?

- Je répondis en ces termes précis : jusqu’à la satisfaction de nos revendications. C’est alors qu’il dit « mon ami, si on t’appelle pour discuter avec toi en tant que meneur sur vos revendications, il ne faut pas refuser hein (o sia) » en me tapotant sur les épaules.

J’ai répondu oui monsieur et on s’est séparé.

Arriver à Lomé un an après, un ami m’annonça à maître et on s’est donné rendez-vous à Kodjoviakopé.

J’ai été installé sur la terrasse. Après Me AGBOYIBO me rejoint en s’asseyant juste en face de moi. Curieusement, il dit :

-Attends, attends, n’est-ce pas ce jeune qui avait mis en ébullitions le lycée de Kpélé-Elé ? Rappelle-moi ton nom.

Maître, c’est AWUDI

As-tu grandi au village ?

Oui maître.

Alors connais-tu les incantations cachées derrière ton Nom AWUDI ?

Absolument oui maître.

Il faut les prononcer je vais voir.

A peine avais-je commencé cela quand il m’arrêta en disant : Ah… non, les enfants sont ici.

Toi, tu as vraiment grandi auprès de tes parents et on dirait que tu t’attaches à l’authenticité.

J’ai juste souri en hochant la tête.

Ce jour-là, ce qui m’a impacté, c’est le fait qu’il m’ait reconnu tout de suite.
Ensuite, l’importance qu’il m’accordait, à moi, un étudiant togolais d’alors tout en me demandant de venir m’assoir à côté de lui dans le même fauteuil.
J’ai remarqué séance tenante, l’immense densité de l’homme et son sens de l’humanisme.
J’ai aussi fait le constat de son attachement à l’authenticité africaine quand il m’invitait à partager un plat du véhi (haricot) avec lui.

Après avoir mangé, nous avons ensemble, pris du coca et un peu du sodabi.
Au moment où j’allais partir, il me demanda de venir l’accompagner quelque part le lendemain à 3 heures du matin ; mais où ? Je ne sais.

Le lendemain à 3 heures piles, quand je me suis pointé, Me AGBOYIBO était déjà prêt.
Tu es là ? Ok allons-y, disait-il!

Nous montâmes directement dans son véhicule en recommandant à son chauffeur ce qui suit : « atou afo vua vide sia ! », yooo papa avait répondu le chauffeur.

C’est en cours de route que j’avais saisi le réel sens de cette expression. L’allure à laquelle on roulait m’a fait comprendre que mon cher ami AGBOYIBO voudrait dire à son chauffeur d’aller un peu plus vite que d’habitude.

En cours de route, après avoir émis quelques appels, il me posa la question suivante :

AWUDI, selon toi, qu’est-ce qu’un vote libre ?

J’ai répondu en disant que c’est un acte par lequel un électeur exprime son choix sans contrainte.

Il reprend la parole en disant : C’est bien. Tu sais, un vote libre est un acte qu’un votant devrait accomplir sans achat de conscience, sans peur et ceci en tenant compte des projets de société de chaque candidat en lice. Malheureusement, nos populations tiennent rarement compte de nos projets de société lors des compagnes électorales. Et c’est dommage.

Bref, à bord du véhicule, nous avons discuté à bâton rompu sur le sujet en question jusqu’à arriver à Kouvé bien avant 5 heures du matin.

Eééé Maître, si on m’a dit que notre amitié allait prendre fin sur un petit coup de fil téléphonique, j’allais dire non.

Notre dernier coup de fil depuis Paris, remonte au 16 Mai 2020 et que ta grande voix retentit encore dans ma tête comme si c’était hier qu’on s’est téléphoné car tu as crié en ces termes ci-après : « AWUDI, si on m’a dit que tu allais m’appeler je n’allais pas croire… ». J’ai répliqué pour dire qu’en vous sonnant, je doutais que vous preniez. Et tu as dit : Ha ! Non ! Non ! Je dois décrocher car au-delà de tout, tu restes un ami. Si après tout ce qui s’est passé, tu fais un surpassement de soi pour m’appeler, c’est que tu es devenu un grand homme. Tu n’es pas haineux et c’est bien ainsi. Vraiment merci ; en tout cas, on se verra à mon retour à Lomé.

-Merci excellence.

Alors Maître, excellence, veux-tu me dire que c’est fini, ces moments de causeries clairsemées par tes rires aux éclats ? Tu ne m’appelleras plus le grand AWUDI de Kpélé ou encore le petit lion dans la grande forêt des grands loups ?

Maître, tu as combattu l’injustice ; mais des gens ont été injustes envers toi.
Tu as combattu la haine en politique ; mais de tous temps, des gens ont été avec véhémence haineux à ton égard.
Tu as combattu le verrouillage des institutions de la République togolaise ; mais elles sont restées toujours verrouillées.
Tu as combattu l’impunité, mais des gens t’ont sanctionné pour n’avoir pas compris peut-être ta méthode pragmatique que tu t’es donnée comme démarche politique.
Tu as proposé la cogestion des affaires publiques, mais des gens l’ont rejeté.

Tu as proposé « effet immédiat » du principe de la limitation du nombre de mandats à deux à la magistrature suprême de l’Etat, des gens l’ont transformé en un slogan en dénudant ainsi, cette ingénieuse proposition de toute sa quintessence.

Tu as proposé en 2014, à la classe politique de considérer le mandat d’alors du chef de l’Etat comme si c’était son premier mandat pour avoir les réformes notamment la limitation du mandat présidentiel à deux que le peuple togolais n’a cessé de réclamer ; mais, des gens t’ont injurié. Ô Maître AGBOYBO, quels injures et dénigrements n’a-t-on pas écouté en ce moment-là ?

Cependant, en bon combattant, tu as encore continué de belle, la lutte.

Et en 2018, lors de la crise socio-politique qui secouait notre pays, tu as proposé un dialogue entre les acteurs togolais sous la supervision des émissaires de la CEDEAO, des gens t’ont traité d’un vieux délirant. D’autres t’ont dit que la crise s’est internationalisée. Ce n’est qu’après le fiasco qu’ils t’ont donné raison. C’était déjà trop tard car les conséquences fâcheuses sont encore là.

Humm Maître, où que tu sois à ce moment où j’écris ce mémo en guise de témoignage, sache que tous ceux qui t’ont fait ombrage sur ton parcours d’un vrai combattant pour la démocratie, t’ont rendu un hommage bien mérité.

Cher ami, nos rencontres à deux tard la nuit, pour cogiter profondément sur les paradigmes et les enjeux de la politique togolaise me manqueront à jamais.

En tout état de cause, je te rassure que tu as laissé de bonnes traces et une bonne méthode politique qui nous inspirent pour continuer et fignoler le combat que tu as déclenché.

Nous mènerons ce « Combat pour une République au Service de Tous » avec clairvoyance et conviction. Maître, je te le jure !

Cher papa et grand ami, va et repose en paix.