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Togo - « Le vice, quand il n’est pas sanctionné, prospère et corrompt la société », selon Prof. KOUVON Komi Simon-Pierre

Togo - Societe
Des vidéos à caractère pornographique tournées dans des écoles cristallisent l’actualité au Togo dans l’ombre de la pandémie de la COVID-19. Elles divisent sur la toile sur la sanction à infliger aux apprenants ou pas. Le scandale pose la problématique du système éducatif scolaire à l’ère des mutations technologique où « les valeurs sont bousculées par l’ouragan de la liberté de la modernité qui se mondialise et se planétarise ».
Prof Komi Simon-Pierre KOUVON, philosophe éthicien, enseignant-chercheur des universités publiques du Togo, responsable de l’Equipe de Recherche Bioéthique et Ethique des Sciences et des Technologie (BEST) et auteur de l’ouvrage, « La responsabilité éthique dans les sociétés post communicationnelles », paru en 2019 chez L’Harmatan, se prononce sur cette affaire qui continue d’alimenter les débats. Lecture !

Le phénomène de sextape dans les milieux scolaires défraie la chronique, ces derniers temps, l’actualité au Togo. Il fait l’objet de plusieurs commentaires et divise les Togolais. Certains considèrent que le scandale sexuel est aussi vieux que l’humanité. On se rappelle du mythe biblique des scandales sexuels de Sodome et de Gomorrhe. Les jeunes élèves, qui se sont adonnés à cette perversité morale, n’auraient ainsi rien fait de particulier. Il y aurait une tendance naturelle chez l’homme à « violer » les mœurs existantes, à aller contre l’interdit et les règles. Dans ce contexte, les condamnations massives dont est objet le sextape dans les milieux scolaires révèleraient une hypocrisie sociale. Derrière la rigueur excessive des condamnations résiderait une double vie inavouée. Doit-on voir dans ce scandale sexuel un phénomène normal, parce qu’il a toujours existé ?

Ce sur quoi cette opinion ne met pas suffisamment l’accent, c’est le lieu de l’acte de sextape condamné. Il s’agit des milieux scolaires où se transmettent les valeurs auxquelles une société croit et adhère. Il est vrai que les valeurs sont bousculées par l’ouragan de la liberté de la modernité qui se mondialise et se planétarise. Cependant la meilleure attitude à adopter face cette dynamique de la liberté n’est pas le laisser-faire. Il est dangereux, périlleux, pour une société de se laisser emporter comme une feuille morte au gré des vents. La meilleure réponse à donner à cette dynamique de la liberté n’est ni le laisser-faire ni la résistance. Le rempart approprié est la réflexion. Il s’agira de réfléchir sur l’orientation à donner à la liberté. Voulons-nous que la liberté soit conçue comme le choix de disposer de son corps et de sa vie comme on veut ? ou bien comme l’adhésion libre à des valeurs qui protègent la dignité ? Tel est le défi à relever. Si l’on admet que l’école doit contribuer au développement de la société togolaise, les milieux scolaires ont l’obligation de faire l’option des valeurs d’excellence et non celle de médiocrité.

C’est donc avec raison que les autorités togolaises ont pris la juste mesure de cette « dépravation des mœurs ». En effet, le vendredi 10 juillet 2020, le ministre des Enseignements primaire et secondaire, Atcha Dedji AFFOH, avait effectué une visite inopinée dans les établissements scolaires dans lesquels les élèves avaient tourné des images de sextape et partagé sur les réseaux sociaux. Il avait affirmé, en substance, selon le journal officiel de la Télévision Togolaise (TVT), ce qui suit : « Ça nous a écœurés et c’est inadmissible. C’est une dépravation des mœurs. On ne peut pas laisser tomber cette affaire. Nous allons sévir. Si nous avons tenu à faire le tour de ces établissements, c’est que, pour nous, ces élèves doivent être sanctionnés ». De plus, l’on apprend que les élèves mis en cause, environ une quarantaine, ont été identifiés, arrêtés et gardés plusieurs heures pour être traduits en justice afin qu’ils répondent de leurs actes. Ce qu’il faut souligner dans cette déclaration et cette démarche, c’est la sanction. Dans une société qui croit en la jeunesse et y voit l’espoir de son renouvellement et de sa revitalisation, l’action vertueuse est louée et le vice condamné et blâmé. Le vice, quand il n’est pas sanctionné, prospère et corrompt la société. Et l’impunité nourrit le vice et décourage les vertueux. Les sanctions, si elles sont prises, auront un effet de dissuasion. Cependant, dans l’application des sanctions, il faut éviter de confondre l’acte et le sujet.

Les sanctions visent l’acte incriminé et non le sujet. C’est pour signifier que les sanctions, malgré leurs exemplarités, ne doivent pas « briser » l’avenir des jeunes mis en cause. Sans pour autant justifier les comportements scandaleux de ces jeunes, il faut reconnaître que ces derniers sont les fruits de la société actuelle. L’accès facile aux Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), renforcé par la montée en puissance de la liberté, occasionne la fragilisation des mœurs, des institutions qui les protègent et l’autorité morale. En témoigne la recrudescence des vices moraux sur les réseaux sociaux durant ces derniers temps. Le phénomène prend de l’ampleur surtout dans les pays en développement, où du fait du mimétisme béat, de la précarité et de la non maitrise des mutations sociopolitiques et culturelles, les vices moraux ont une tendance lourde. C’est, sans doute, l’exemple des vidéos des apprenants de certains établissements secondaires du Togo. C’est dans cette perspective qu’on évoque la responsabilité commune et différenciée des acteurs de l’éducation, notamment les parents, le personnel enseignant et administratif des établissements scolaires, le gouvernement, etc.

Que doit-on faire, dans ces conditions, pour freiner ou du moins réduire l’ampleur d’un tel phénomène (et bien d’autres), envisagé dès lors comme une « perversité morale » ou une « dépravation des mœurs » ? Ce que l’on peut dire est que, dans la recherche des solutions, l’on doit éviter de prendre l’effet pour la cause. D’après la rationalité médicale, l’effet n’est pas la maladie. La maladie, c’est la cause. De même pour soigner la maladie sociale, la réflexion doit plus porter sur les causes profondes que sur les effets. Il est bien évident que tous les acteurs de l’éducation doivent faire leur part en vue d’«aiguiser» la sensibilité éthique non seulement dans les milieux scolaires mais aussi dans les différents niveaux de notre société actuelle. Car les enfants apprennent aussi et surtout par des exemples de vie. Les exemples incarnent les valeurs. Les modèles de vie sont plus performatifs et ont plus d’effet sur les jeunes générations quand dans la société l’excellence est récompensée et la médiocrité blâmée.