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Togo - Alfred Attipoe, sans concession sur la situation au Togo

Togo - Politique
INTERVIEW EXCLUSIVE


Monsieur Alfred Kossi Attipoe, vous venez d’être porté à la présidence de Synergie-Togo. Pouvez-vous vous présenter brièvement à nos lecteurs et leur préciser les actions que vous entendez mener pendant votre mandat ?

Je vous remercie de votre intérêt pour Synergie Togo et l’opportunité que vous me donnez de m’exprimer. Notre association est un laboratoire d’idées, ce que les Anglais appellent Think-Thank, et par conséquent sa force vient du collectif de femmes et d’hommes qui sont capables de transcender les clivages socio-culturels et idéologiques au profit de la promotion des valeurs de solidarité, de démocratie et des droits humains. En ce qui me concerne, j’ai 52 ans, avec une formation supérieure en informatique et en management international, je suis afro-optimiste et vis en Belgique depuis 30 ans. En tant que membre de Synergie Togo depuis bientôt 10 ans, j’ai pu apporter ma contribution et mes compétences au service de l’association, notamment dans le monitoring et l’observation des processus électoraux.

Comme Président, j’ambitionne de contribuer à remobiliser les forces démocratiques togolaises pour retrouver le chemin du changement et du développement de notre pays. Ce changement est nécessaire non seulement pour la paix sociale et la vie politique dans notre pays, mais aussi pour notre essor économique et une meilleure répartition des richesses. Notre action passera par un travail de réflexion avec les partenaires crédibles du terrain et de la diaspora, mais aussi par un travail de sensibilisation de chaque Togolais et des amis du Togo sur l’importance de contribuer à l’avènement d’une véritable démocratie dans notre pays. Ce programme étant ambitieux, notre plan d’action s’attache aussi au renforcement des moyens humains, structurels, logistiques et financiers de l’association.

Quel bilan faites-vous des 30 dernières années (1990-2020) de lutte du peuple togolais pour la démocratie au Togo ?

Trente années de lutte, cela peut paraître long et décourageant, mais d’autres peuples ont connu pire. En parcourant les événements marquants de la lutte du peuple togolais depuis 1990, en l’occurrence, la révolte populaire du 5 Octobre 1990, la conférence nationale souveraine de 1992, la révolte populaire de 2005, les longues marches pacifiques de 2010-2011, la révolte populaire de 2017, on peut être fier de la ténacité de notre peuple … et en même temps se questionner sur notre incapacité à conclure cette lutte. Ce qui est certain, c’est que le peuple togolais n’a pas démérité malgré la férocité du régime dans un état de terreur où les crimes les plus odieux que sont massacres, les arrestations arbitraires, les incendies de marché ont fini par lasser le peuple. Aujourd’hui, l’essentiel c’est de tirer les enseignements du passé, et surtout ne pas baisser les bras, ne pas se laisser endormir par les vendeurs de rêve. Le rôle de Synergie-Togo c’est aussi d’apporter sa part de réponse et sa contribution dans la remobilisation.

La plus forte aspiration des Togolais à cette phase de la lutte semble se focaliser sur la réalisation de l’alternance politique au pouvoir. Comment y parvenir dans le contexte togolais marqué par la volonté du système RPT-UNIR de garder le pouvoir et la guéguerre au sein des partis de l’opposition ?

Effectivement, 53 ans de dictature avec la même famille au pouvoir, cela ne peut que motiver à se focaliser sur cette aspiration des Togolais. Mais n’oubliez pas que l’alternance se déroule généralement dans un système démocratique abouti, ce qui est loin d’être le cas du Togo. Malgré le multipartisme et un semblant de liberté d’expression, notre pays est loin d’être une démocratie. Le système RPT-Unir est maintenu en place par une alliance entre un clan et les haut-gradés de l’armée avec le soutien et la complicité d’une certaine communauté internationale. Ce qu’il nous faut, c’est un changement radical. Ce changement ne peut être négocié avec le pouvoir en place, le peuple doit l’y contraindre. Ce changement ne peut non plus venir des partis politiques, encore moins quand ils se déchirent dans une guerre intestine au point qu’on ne sache plus réellement qui est de l’opposition. La seule voie vers ce changement radical, c’est la libération du peuple par lui-même. Il faut donc continuer à le sensibiliser jusqu’à ce qu’il comprenne qu’il est maître de son destin. Le régime tombera alors comme un fruit mûr au moment opportun.

Au plan de la réalisation des infrastructures de transport, le pouvoir de Faure Gnassingbé a consenti des efforts ces dernières années. Comment appréciez-vous ces efforts ?

Soixante ans après notre indépendance et 52 ans de pouvoir d’une seule famille, peut-on parler d’efforts ? Il suffit d’aller dans les pays voisins pour voir à quel point nous sommes une fois encore loin du compte malgré les milliards dépensés dans les programmes tels que SCAPE. Ce qui a été fait récemment au Togo, par l’exemple, la nouvelle aérogare de Lomé, c’est un service minimum. Et encore, beaucoup de ces travaux d’infrastructure sont mal faits malgré les coûts exorbitants qui sont la conséquence de la corruption aggravée et endettent notre pays pour des générations. J’ai emprunté récemment le tronçon de contournement de la faille d’Alédjo, c’est juste lamentable que pour plus de 17 milliards de francs CFA, l’état togolais n’ait pas profité pour faire une œuvre autoroutière digne de ce nom afin de faciliter la circulation et éviter les accidents.

Lomé s’est développée à un rythme effréné ces dernières années mais les infrastructures ne suivent pas. Il est difficile de s’imaginer que certains quartiers de notre capitale soient encore inaccessibles en saison de pluies. Même dans les zones historiques de Lomé, la malfaçon des rénovations routières est criarde : il suffit de voir l’état des égouts et la dégradation précoce de la voirie. Ne parlons même pas des villes et villages de l’intérieur du pays. Dans un état normal, où les institutions fonctionnent, le contrôle de l’action publique aurait mis les acteurs politiques face à leurs responsabilités.

Quel est selon vous le principal atout sur lequel le Togo peut miser pour son développement ? Comment optimiser cet atout à votre avis ?

Le secteur privé, c’est-à-dire l’entreprenariat, le commerce et les services, a toujours été le principal atout pour le développement économique du Togo. Sa part dans le PIB qui avoisinait généralement 40 à 50% a chuté à moins de 30% depuis une dizaine d’années. Souvenez-vous que ce sont les Nana Benz togolaises qui maîtrisaient le commerce du pagne dans la sous-région. Malgré la dictature de Gnassingbé père, le commerce togolais fleurissait dans la sous-région grâce à l’initiative privée. Aujourd’hui, le Togo ne représente plus rien dans les échanges commerciaux de la sous-région. Au lieu de mettre en place un outil de pression fiscale comme l’OTR, il faut relancer l’entreprenariat privé, donner les moyens aux jeunes pour sortir du secteur informel et créer des entreprises et de l’emploi. Dans un pays très rural, soit 60% de la population, l’agriculture pourrait être un atout. Mais avec des paysans équipés de houes et de machettes, nous ne pouvons aspirer qu’à une agriculture de subsistance si une stratégie de modernisation et d’encouragement n’est pas mise en place.

Enfin, à l’ère de l’internet et des technologies de l’information, le développement du Togo pourrait venir de l’innovation technologique. Pour cela, il faudrait investir dans la formation des jeunes et dans les infrastructures de télécommunication. Mais le Togo n’est pas crédible pour se vendre sur le marché du numérique quand on assiste à des coupures de la connexion internet pour empêcher la sensibilisation politique via les réseaux sociaux, quand l’état préfère investir des milliards dans un logiciel d’espionnage israélien Pegasus et quand le dernier rapport d’une étude internationale du magazine américain CEOWorld classe notre pays parmi les derniers de la classe en matière de la qualité de la connexion internet ! Tout est lié, il ne peut y avoir de développement économique lorsque les gouvernants ne sont pas élus de manière régulière, n’ont pas de projet pour le pays et ne craignent pas la sanction électorale du citoyen. Le fameux PND n’y changera rien…

L’un de vos objectifs est de mobiliser l’apport de la diaspora au bénéfice au développement au Togo. Quelle est votre appréciation des initiatives prises par le Gouvernement togolais pour faciliter les contributions de la diaspora dans les efforts de construction du Togo ?

Les membres de la diaspora, à titre individuel, ont la volonté d’investir au Togo, comme l’attestent les statistiques sur les flux financiers qui représentent plus de 8,5% du PIB. Malgré cela, il est difficile de transformer ces flux financiers au bénéfice d’un réel développement économique à cause du mauvais climat des affaires, en l’occurrence l’absence de sécurité juridique, la corruption et l’instrumentation des institutions. En réalité, le climat des affaires ne profite finalement qu’aux « intouchables » du clan au pouvoir. Dans ce contexte, comment apprécier les actions d’un gouvernement, qui au lieu d’adopter une approche inclusive, a préféré miser sur une division de la diaspora ? Le Haut Conseil des Togolais de l’Extérieur mis en place en 2019 est une arnaque pré-électorale qui n’a servi qu’à flouer certaines personnes. Le gouvernement togolais a fait le choix d’user de la duperie et du clientélisme en sélectionnant des interlocuteurs qui ne représente pas toute la diaspora. Cette diaspora togolaise est faite de deux millions de personnes éparpillées dans le monde. Elle est sollicitée pour son apport économique mais écartée dans les processus de prise de décision. Le droit de vote accordé récemment à la diaspora ne fut qu’une grosse fumisterie au regard des conditions imposées pour l’obtention de la carte d’électeur et du nombre de pays sélectionnés par le gouvernement. Sur les deux millions que nous sommes à l’étranger, seules 348 personnes ont pu obtenir leurs cartes d’électeur dans les six pays retenus, dont une trentaine de personnes en France, mais personne en Allemagne, en Belgique ou au Royaume Uni. On ne peut donc pas reprocher à la diaspora togolaise d’être frileuse pour investir au Togo et encourager les investisseurs de leurs pays d’accueil à les suivre.

De nombreux pays de la sous-région ouest-africaine sont secoués par les expressions de velléités de pouvoir à vie de la part d’anciens opposants devenus Chefs d’Etat comme Alassane Ouattara ou encore Alpha Condé.

Qu’est-ce qui explique ce phénomène sur le continent en particulier dans les pays francophones ?

Ce qui se passe en Guinée et en Côte d’Ivoire, n’est que la suite logique d’un phénomène né au Togo et qu’une des conséquences de la gestion calamiteuse de la CEDEAO des crises successives au Togo. Jusqu’à présent, la limitation des mandats présidentiels était une règle commune en Afrique de l’Ouest. En effet, les Constitutions de tous les états membres de la CEDEAO, prévoient la limitation à deux mandats présidentiels. Seul le Togo faisait exception jusque récemment, ce qui a en partie motivé le soulèvement populaire de 2017. La CEDEAO n’a pas su faire appliquer les règles qu’elle a elle-même éditées, en l’occurrence le protocole sur la bonne gouvernance et la démocratie signé en 2001 à Dakar. Les autres chefs d’état se sont certainement dits « pourquoi pas nous alors ? ». Tout ceci démontre un déficit démocratique des pays d’Afrique francophone où les institutions ne sont pas suffisamment fortes pour empêcher les présidents, fussent-ils des anciens opposants, à respecter la loi fondamentale de leur pays.

Que dites-vous de la gestion de la crise actuelle au Mali par la CEDEAO ?

Au Mali, la CEDEAO est encore face à ses turpitudes. En effet, contrairement aux Togolais, les Maliens ont rejeté les solutions boiteuses de sortie de crise élaborées par ladite institution dans le seul but de maintenir au pouvoir des dirigeants corrompus. En ayant pris son destin en mains, le peuple malien a obtenu le soutien d’une armée qui s’est révélée républicaine et non partisane. Un coup d’état militaire n’est certainement pas un événement à célébrer ni à encourager, mais il semble, dans le cas malien, être une réponse à l’exigence du peuple de mettre fin à un régime corrompu. Cette réponse se doit toutefois de respecter le cycle d’une transition courte qui débouche sur des élections démocratiques et transparentes dans le respect des standards internationaux. Aujourd’hui, on voit une CEDEAO très acharnée sur le rétablissement de l’ordre constitutionnel dans ce pays alors qu’elle reste silencieuse sur les coups de force constitutionnels opérés au Togo ou en cours en Guinée et en Côte d’Ivoire. Au Togo comme partout en Afrique francophone, la jeunesse doit prendre exemple sur le Mali pour imposer la voix du peuple chaque fois que c’est nécessaire.


Votre mot de conclusion ?

Mes propos pourraient paraître assez négatifs sur notre pays mais je suis assez optimiste sur la capacité de notre peuple à se remettre debout pour se débarrasser des despotes qui l’ont pris en otage et ouvrir de nouvelles pages vers un avenir radieux. Comme disait Frantz Fanon « chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir ». Notre choix est fait. Je vous remercie.

Le Canard Indépendant, numéro 747, 11 Septembre 2020