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L'écrivain Médard Delali Avegnon parle de son roman "L'oeil des coulisses"

Togo - Societe
Des récits morcelés qui se succèdent sans lien apparent, mais avec forte cohérence : Kouma et sa tendre Massan qui s'étaient jurés amour et fidélité mais qui vivent une vie de couple jalonnée de disputes ; Salou, l'inspecteur des douanes devenu grabataire suite à un accident de travail, est trompé par sa femme Alice qui accueille ses amants sous le toit conjugal ; Dodzi qui s’époumone en vain à faire comprendre à ses frères et sœurs l’urgence de la prise en charge du vieux Fodéba malade ; Sika qui défie Xeviesso, le dieu dont le grand prêtre est son père, la distribution du Sida sur fond de viol programmé... L'écrivain togolais Médard Delali Avegnon raconte une panoplie de récits entrecoupés d'histoires de religion, de mystère et de commentaires dans son roman, L'oeil des coulisses. Le titre est évocateur. Rien n'échappe à cet « œil » qui décrit tout, surtout ces vérités que l'on veut cacher au monde.
L'œuvre de 210 pages, une première fois publiée aux éditions Edilivres en France, a été rééditée au Togo aux Editions Continents. Après la dédicace le 18 juillet à l'Ecole Normale Supérieure d'Atakpamé, Icilome est allé à la rencontre de l'auteur qui parle de son roman dédié à toutes les femmes... "À toutes les femmes du monde, soyez femmes et mères, femmes et mères et non objets de jouissance charnelle".

Né un 8 juin 1974, Médard Delali Avegnon fit ses études primaires et secondaires au Togo. Il obtint un Doctorat unique en littérature orale en 2008 et est inscrit sur la liste d’aptitude aux fonctions de Maître de Conférences du CAMES en 2017. Il est l'actuel Directeur des Etudes de l’Ecole Normale Supérieure (ENS) d’Atakpamé.

L’œuvre L’œil des Coulisses a été une première fois éditée à Edilivres. Quelles sont les motivations de sa réédition dans une maison d’édition togolaise ?

Si j’ai réédité mon roman dans une maison d’édition togolaise, c’est pour qu’il soit disponible pour mes compatriotes. C’est d’abord pour eux que j’écris. Il est vrai l’œuvre ne peut leur revenir totalement, mais je veux qu’il leur revienne en priorité. Et après eux, à tous les lecteurs du monde entier.

Deuxième raison, c’est que le livre publié à Paris était trop cher pour la bourse de mes compatriotes. Alors il a fallu faire ce sacrifice pour investir dans une publication locale pour que mon ouvrage puisse être acheté plus facilement.

Pourquoi le titre L’œil des coulisses pour votre œuvre ? Lors de la dédicace, vous aviez comparé cet œil à celui de Dieu, qu'en est-il ?

L’œil des coulisses, c’est cet œil caché qui voit ce que les gens ne croient pas avoir exposé au public. Le comparer à l’œil de Dieu, c’est simplement montrer sa capacité à lire dans le caché. En même temps, il voit tout à l’instar de Dieu.

Lorsque je dis, l’œil des coulisses, je fais référence au théâtre, surtout à ces antichambres, ces couloirs dans lesquels les acteurs se préparent avant d’apparaitre sur scène. Comparée au théâtre, la vie est une scène et chacun joue un rôle. Il existe donc une préparation derrière ce jeu qui se fait, des tentatives de voilement de certaines parties du jeu. Et l’œil qui ici regarde, c’est celui qui voit ce que nous cachons au monde, voilà pourquoi c’est l’œil des coulisses. Nous avons une face qu’on présente au monde et une autre qu’on lui cache. Et l’œil qui rapporte ici les évènements se contente plutôt de la face cachée pour révéler l’homme au monde dans sa dimension totale : le visible et l’invisible. Voilà pourquoi la métaphore l’œil de Dieu ; Dieu étant omniprésent et omnipotent, il voit ce qui est caché et ce qui est révélé.

L’œuvre contient une panoplie de récits. Est-ce une technique d’un auteur assoiffé ?

Dans l’ouvrage, il y a cette phrase : « et la suite ? » avec comme réponse « la suite dans la suite d’une suite sans suite ». C’est un choix au départ de présenter des récits qui, en fait, ne sont pas suivis. Vous pouvez donc vous apercevoir en lisant qu’il y a tellement de rupture dans les récits. Une étape d’un récit appelle un autre récit. C’est un schéma que j’ai volontairement choisi d’utiliser. En effet, dès qu’une étape dans mon récit évoque une autre séquence que je crois en adéquation avec ce que je dis, je donne libre court à mes pensées, je vais d’abord à ce récit et je reviens. Dans toute l’œuvre, les récits sont morcelés, c’est pourquoi il faut arriver au bout pour reconstituer l’histoire. C’est aussi une façon de garder le lecteur en haleine afin qu’il finisse le roman avant de reconstituer l’histoire. Et d’ailleurs, il n’y a même pas d’histoire principale. Tout est récit, donc il faut finir. Si on ne finit pas, on ne comprend pas.

Féministe, vous dites avoir débuté le roman un 8 mars, journée internationale de la femme. Pour quelle forme de féminisme optez-vous ?

Je ne sais pas (rire). Tout ce que je sais, c’est qu’il faut célébrer la femme ; et célébrer la femme, c’est en même temps être à ses côtés pour l’aider à avancer. Il ne faudrait pas que la femme soit méprisée, ni reléguée au second rang parce qu’elle est également une entité à part entière et non entièrement à part. Il faudra composer avec elle. Composer avec la femme, c’est accepter qu’elle soit à un niveau qui lui donne la possibilité de démontrer ce dont elle est capable. Je ne suis pas pour ce féminisme qui réclame l’égalité et l’équité, et qui en pratique, voit les femmes se rétracter devant les tâches tout en s’accrochant aux démonstrations de rue, aux réclamations publiques, au spectacle de femmes ratées qui empoisonnent la vie des autres.

Qui est selon vous la femme idéale ? Et le vrai homme ?

Avant d’indiquer ce que doit être une femme, comme le dit la fin de l’œuvre, il faut présenter l’existant. Partir de l’existant pour voir ce que la femme doit faire de plus pour mériter ce que nous pensons, ce à quoi nous voulons qu’elle parvienne pour être vraiment femme et mère. Si je ne présente que le bon côté, j’aurais fait un travail à moitié, parce qu’il faut être conscient que le défaut existe. Il est donc besoin de partir des défauts pour corriger et renforcer le positif. C’est ce travail qui m’amène à présenter et le bon côté et le mauvais côté. Il y a des femmes tantôt exemplaires, tantôt méprisables. Et pourtant c’est la même femme. A partir de ces deux statuts, il faut voir ce vers quoi il faut tendre.

Pour moi, chaque femme doit être libre. Etre libre ne signifie pas absence d’obligations. Lorsque je dis que les hommes ont, en un moment donné, empêché la femme d’être libre, ce n’est pas qu’ils l’ont enchainée. Ils ont peut-être constitué un obstacle. Je souhaite qu’on donne libre court aux aspirations de la femme, qu’elle essaie de réaliser ce dont elle est capable. Cette liberté que je cherche n’est pas pour dire à la femme "fait ce que tu voudras" comme c’est la règle dans l’Abbaye de Thélème. Chacun doit savoir quelles sont ses obligations et quels sont les devoirs à remplir pour que l’unité et l’équilibre soient maintenus. Rendre la femme libre c’est être plutôt à ses côtés pour l’aider à mieux faire ce qu’elle doit faire. Mon idéal de femme, c’est la femme battante, qui n’attend pas tout de l’homme, car comme je l’ai dit, l’homme dépend plus de la femme qu’il ne dépend de son argent et de son travail.

Le style (esthétique des nouvelles écritures africaines), quelle est l’intention de ce maniement de la langue ?

En fait, quand quelqu’un écrit, c’est qu’il a été fasciné par d’autres auteurs, il a tiré expérience d’autres terrains sur lesquels il a joué. Je me suis moi aussi délecté de textes iconoclastes qui m’ont séduit. Et à la suite de ces auteurs (Sony Labou Tansi, Ahmadou Kourouma…) j’ai tenté la traversée du fleuve des nouvelles écritures africaines. En lisant ce texte, vous verrez que le français n’est pas celui des cercles administratifs ou académiques. Ce sont parfois des phrases à un mot, des phrases sans verbe, parfois des phrases qui vous étourdissent. C’est un choix qui n’exclut pas aussi le normal. C’est une façon d’exprimer ma singularité.

Un dernier mot…

Avertir les lecteurs parce qu’ils peuvent être déçus par ce que j’ai écrit. Mais j’aurais souhaité qu’ils le soient positivement. Parce que le traitement des histoires, en allant à l’encontre de leur attente, doit plutôt les amener à poser un autre regard sur le monde. Je le souhaite vivement. C’est seulement à ce prix qu’ils ne seront pas déçus amèrement. Bonne lecture et surtout délectez-vous de ce premier jet de pierre avec beaucoup d’appétence.


Réalisée par Magnim Karouwe